Clément Cogitore, la frontière du visible

Généralement, on sort d’un film de Clément Cogitore troublé, voire ébranlé. C’était le cas avec ses courts métrages – dont le sublime et nécessaire Parmi Nous –, c’est le cas ici encore avec son premier long métrage Ni le ciel ni la terre. On a beau tenter de décoder son geste filmique, le cinéaste alsacien arrive, par un subtil jeu d’écrans superposés, à brouiller les pistes entre ce qui est de l’ordre du visible et de l’invisible, du palpable et de l’impalpable, du rationnel et de l’irrationnel. Avec brio, il nous impose une forme d’inconfort aussi bien visuel qu’intellectuel. Mais revenons au pitch de départ : l’armée française est en charge de la surveillance de la vallée reculée du Wakhan en Afghanistan, à l’approche du retrait des troupes. Le secteur est supposé calme, mais voilà qu’une nuit, des soldats se mettent à disparaître mystérieusement. Le capitaine Antarès Bonassieu, interprété magistralement par Jérémy Rénier, lance l’enquête auprès des populations voisines et soupçonne soit un assassinat, soit un enlèvement. Le problème c’est que les Talibans eux aussi déplorent des disparitions de leur côté…

Jérémy Rénier, absolument magistral, porte des interrogations fortes sur l’identité, la foi, le rationnel et l’irrationnel.

On se situe clairement du côté du film fantastique avec des codes qui empruntent au genre – certaines scènes rappelleraient presque l’effroi du Blair Witch Project – à cette différence près que la dimension métaphysique prend le relais pour atteindre ce à quoi le cinéma français s’est rarement confronté : une interrogation sur la réalité tangible. Une interrogation qui libère en nous des sensations mouvantes. À ce titre, contrairement à ce qu’on pensait jusqu’alors, Clément Cogitore marche beaucoup moins sur les traces de Pasolini, très explicite dans sa quête de sacralité, que de Tarkovski. Les manifestations du sacré ne présentent rien d’assuré, les lignes bougent, mais personne ne peut crier victoire. Il reste cependant cet instant de concorde possible qui naît d’une incapacité à appréhender ce qui sort de nos codes de lecture. Nul discours, nul conflit possible, juste le sentiment de se retrouver tous démunis face à ce qui nous dépasse.


Par Emmanuel Abela

Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore,
avec Jérémy Rénier, Kévin Azaïs, Swann Arlaud et Marc Robert,
distribution Diaphana.