Exposition : Muette, la carpe ?
En 1878, Émile Gallé produit son chef-d’oeuvre "Le Vase à la Carpe", devenu emblématique des collections du Musée du verre de Meisenthal et la pièce maîtresse de l’exposition "Muette, la carpe ?" jusqu'au 30 décembre.
Vincent Vanoli vient de publier son volumineux Panorama de la musique populaire aux éditions Chicmedias. Un journal dessiné aux airs de discothèque idéale, aussi bien foutraque que sentimental, pour ce prolifique auteur de bande dessinée. Entretien.
Comment vous est venue l’idée de dresser ce Panorama de la musique populaire ?
Pour tuer le temps et l’angoisse pendant le premier confinement. J’en ai profité pour ouvrir un compte Facebook avec 15 ans de retard afin de pouvoir poster ça.
Quelle est votre définition de la musique populaire ?
Fondamentalement, le terme « populaire » ne devrait pas qualifier la musique, car elle s’adresse par nature à tous et pour tous. Même des groupes obscurs et expérimentaux ont, au fond d’eux, l’envie d’être populaire. C’est le fait de ne pas être connu qui tranche dans la catégorie musique pour happy few et les fait passer pour snobs ou élitistes. Je fais de la BD, je remplis cette case et je sais de quoi je parle. Ironiquement, je mets « populaire » pour qualifier mon panorama. Pareil pour le jazz ou la musique classique qui sont des catégories soi-disant sophistiquées ou cultivées. Elles le sont malgré tout parce que ça ne passe pas au supermarché ou sur RTL aux heures d’écoute « populaires », alors on peut s’en méfier et s’en écarter. Dans notre goût repoussé de ces musiques, il y a la culpabilité culturelle qui nous dit « c’est pas pour nous ». Dans ce panorama, j’ai exprès alterné des tas de genres, parce que je voulais réunir toute la musique, de bon goût, de mauvais goût, en étant conscient que celle-ci a aussi son charme au second degré. Aussi j’aime beaucoup ce qualificatif « populaire ». D’autant que la musique pop a aussi des choses sophistiquées.
Comment s’est opérée votre sélection quant aux groupes ou artistes dessinés ?
J’ai choisi des gens que j’aime bien, dans beaucoup de genres différents. Même s’il y a certains que je n’aime pas vraiment, c’était amusant de les faire apparaître par esprit potache, que ce panorama reste cool.
Certains d’entre eux sont représentés sur scène, d’autres non, comment avez-vous opéré vos choix graphiques ?
Ce panorama est aussi un exercice de style tout en étant une espèce de journal, car ces images ont été postées presque chaque jour depuis deux ans. Pour le dessinateur, il faut varier les plaisirs : si je dessine trois groupes à guitares, j’aurais l’envie naturelle de faire ensuite un pianiste seul dans l’image. Je travaille la composition autour de deux possibilités : soit plan fixe, en pied, soit quelque chose de plus dynamique et nerveux. Parfois un décor hors contexte, un petit paysage tel Daniel Johnston devant sa maison à coté d’un arbre avec un petit oiseau. J’adore ce format carré, j’ai pensé à Crumb et à tous ses formidables portraits dessinés de bluesmen ou de groupes ragtime des années 30.
Comment avez-vous conçu la narration autour de ces 340 vignettes qui s’apparente à un labyrinthe ?
Je ne sais plus… Non, sérieusement, j’ai commencé par écrire un petit texte de quelques lignes pour les premiers de la série. Cela me faisait parfois penser ou rebondir vers d’autres groupes qui étaient situés ailleurs, plus loin dans la numérotation, alors ça a volé en éclats. Mais ça m’a plu, parce que je fonctionne comme ça, par instinct et par association d’idées. Dans ma tête, rien n’est classé. Tout le monde est comme ça, on passe d’une idée à l’autre, c’est un peu foutraque et c’était raccord avec la variété des sujets, des anecdotes. Quand je passe quelques minutes devant mes disques sur leurs étagères, c’est aussi comme ça, je fouille, je me demande ce que je veux écouter, je tombe sur un disque, parfois je me rappelle d’un souvenir. Au niveau de l’écriture du texte, ça m’a permis de procéder à un récit spiralaire, c’est-à-dire que je commence à bafouiller quelque chose et puis quelques chapitres après, j’y reviens, je cherche une piste et en trouve une, je creuse quelque chose qui a été dit avant. Celle de la traque aux souvenirs personnels, aux petites choses liées à cette musique, aux gens et amis avec qui j’ai partagé tout ça. Une quête de petites choses, c’est si beau les petites choses. Certains amis sont partis, alors c’est vite devenu aussi sentimental.
Au-delà de cet ouvrage, vous avez continué à dessiner et à publier sur votre compte Facebook…
Comment terminer une série comme ça, c’est impossible ? Il faut continuer, un journal ne peut s’arrêter. Ça s’inscrit dans une fuite des jours avec ce truc un peu tank de revenir de façon obsessionnelle sur d’autres vignettes à dessiner, d’autres artistes à découvrir, le plaisir de lire les réactions des gens sur Facebook. J’aime bien cet aspect un peu vain de cette série. C’est vaguement dépressif mais joyeux en même temps. C’est un plaisir de dessin et une habitude quasi rituelle de terminer une journée. Je me sers de ce compte Facebook comme d’un mur d’expo. Dire que je n’ai même pas encore fait Gainsbourg ni les Clash ou Brassens. Faudra pas que je les loupe !
Avez-vous eu des retours de la part de groupes que vous avez dessinés ?
J’attends toujours le retour de Leonard Cohen. Vraiment, je n’ai eu que de l’amitié et de la bienveillance de beaucoup et surtout de ceux que je connais personnellement. Vraiment ça m’a touché, parce que j’ai toujours un peu de crainte avant de poster mon dessin que ça gêne les personnes, mais j’ai été soutenu et encouragé, malgré les tronches pas possibles des fois. J’espère que j’ai été juste aussi, même dans les portraits qui sont des caricatures, j’espère qu’on sent tout de même de l’empathie.
Pourquoi dessiner la musique seulement aujourd’hui alors que, en vous lisant, elle semble avoir fait partie intégrante de votre vie mais n’apparait finalement assez peu dans vos albums ?
Mes BD ne parlent pas de musique en général, mais il y’a parfois des clins d’œil ou des pages qui sont imprégnées de certaines musiques. Neil Young dans La route des Monterias publié à L’Association (en 2004) par exemple, mais ce n’est pas explicite. J’ai raconté des choses sur la musique dans Brighton Report, qui date de l’époque où j’ai habité à Brighton il y a 20 ans, parce que c’est un récit autobiographique et c’était mon quotidien. Sinon, j’ai fait quelques courtes histoires sur certaines figures du rock (Nick Drake, Syd Barrett, Vic Godard, les Shaggs, Shirley Collins et Mississippi Fred Mc Dowell) dans des BD qui étaient des sortes de « miscellanées » (Objets trouvés aux éditions de La Pastèque, Passage aux escaliers à L’Association…). Je me méfie d’être catalogué dans la case dessinateur de BD qui aime le rock, c’est tellement cliché. Ma foi, pour le coup, c’est raté. Mais je considère ce bouquin comme une récréation.
Qu’est-ce qui tourne actuellement sur votre platine ?
Holiday Ghosts, Shirley Collins, Stinky Toys et Red Krayola.
Panorama de la musique populaire de Vincent Vanoli (éditions Chicmedias) en vente sur notre shop et à La Vitrine Chicmedias (14 rue Sainte-Hélène à Strasbourg).
Par Fabrice Voné
Photos Tanguy Clory