De quelle évolution avez-vous été le témoin en 25 ans ? D’un retour à la terre et à l’authentique comme on aimerait le croire ou au contraire d’une rupture entre le consommateur et la source de son alimentation ?
On sent un engouement certain pour le retour à l’économie locale, aux circuits courts, à la nature… En cuisine, il est devenu courant d’utiliser des plantes, même des fleurs… On trouve ainsi de la bourrache partout ! Cela n’a rien d’illogique. Pourquoi acheter des herbes qui vont faire 20 000 kilomètres en avion alors que l’on a tout ce qu’il faut autour de nous ?
Mais la nature n’a-t-elle pas changé ?
En 30 ans dans la plaine d’Alsace, 80% de la biodiversité est morte. Qu’il s’agisse d’oiseaux, d’insectes ou de plantes. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais une étude tri-nationale entre Allemands, Suisses et Français. La faute aux herbicides, aux fongicides et aux pesticides, à la nappe phréatique polluée, à la disparition des bocages, des haies et des cours d’eau… Cela fait 10 ans qu’il n’y a quasiment plus de champignons, que l’on assiste à des records de température et que les forêts dépérissent car elles n’ont plus de quoi se défendre contre les parasites. Bref, en plaine, tout est devenu stérile !
Face à ce constat, la prise de conscience est-elle au rendez-vous ? Assiste-t-on à une réelle envie de réparer les dégâts ou continue-t-on en fermant les yeux ?
Je crois que l’on commence doucement à s’apercevoir que l’homme est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Nous sommes totalement dépendants du végétal. La prise de conscience est en marche… De toute manière, nous n’aurons pas le choix : la planète nous héberge et nous n’en sommes que locataires.
Est-ce que des mouvements initiés par des chefs, comme le concept de « naturalité » prôné par Alain Ducasse fait sens à vos yeux ?
Je considère cela comme de l’écologie urbaine un peu opportuniste. Pour faire de l’écologie, il faut vivre dans la nature et voir comment les choses poussent !
Mais de plus en plus de chefs cultivent leur potager…
Cela fait 20 ans que j’y travaille. Jean Albrecht à Rhinau emploie deux jardiniers à plein temps. Son restaurant, Vieux Couvent, est autonome au niveau des légumes et des fruits. En cuisine, Alexis, le fils de Jean, suit les saisons comme à l’époque où l’on ne mangeait pas de tomates ni de fraises en février. Il pratique une cuisine de terroir et du moment. Aujourd’hui on y revient !
D’accord pour les chefs, mais qu’en est-il du consommateur lorsqu’il fait ses courses ?
De ce côté-là aussi, je suis assez optimiste. Un grand nombre d’entre eux a pris conscience des enjeux durant la période du Covid. On a bien vu à ce moment-là que ce n’était pas les Chinois qui nous nourrissaient, mais bien l’agriculteur d’à côté. Il en est resté quelque chose dans les habitudes de consommation. Tout n’a pas été perdu !
Reste le fameux pouvoir d’achat qui revient au premier rang des préoccupations. Or ce genre d’alimentation de proximité est réputée plus chère…
Qu’on le veuille ou non, nous devrons bientôt payer le juste prix des aliments que nous consommons. Nous en revenons, de la mondialisation ! Et cela ne coûte pas nécessairement plus cher de s’alimenter correctement. Pendant que je vous parle, je suis en train d’éplucher des carottes tordues dont personne ne veut et qui normalement, finissent au compost… Je vais pourtant en faire une excellente soupe. Cela ne m’aura coûté que le temps nécessaire pour les éplucher.
Le temps, justement, les gens en ont de moins en moins. Ils ne savent plus cuisiner comme autrefois…
Pendant le confinement, on a bien réussi à retrouver les casseroles ! Il va falloir que les gens réapprennent à cuisiner. Dans ce domaine comme dans d’autres, il y en aura toujours qui seront à la traîne tandis que d’autres joueront les locomotives. Mais globalement, je suis confiant.
Et les plantes sauvages, que viennent-elles faire là-dedans ?
Elles sont utiles pour se soigner ! Figurez-vous qu’avec des plantes, j’ai pu guérir un cheval que deux vétérinaires successifs avaient condamné. Ce sont des plantes qui poussent autour de nous que l’on écrase. Les anciens savaient s’en servir et maîtrisaient la phytothérapie. Aujourd’hui, il existe dans ce domaine beaucoup de charlatans. Moi, je ne suis ni médecin ni pharmacien. Je connais simplement les plantes qui soignent les petits bobos.
Propos recueillis par JiBé Mathieu