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Sur la route des châteaux forts #3 : les châteaux vivants

L’Alsace a vu son paysage façonné par les génies bâtisseurs du Moyen Âge, jusqu’à devenir la première terre de châteaux forts en France. Chaussures de randonnées aux pieds, c’est en Alsace Verte que l’on part à la découverte de la région alsacienne la plus riche en forteresses.

Trois châteaux de l’Alsace Verte connaissent un sort enviable qui vaut le voyage. Si le Schoeneck, le Nouveau-Windstein et la Wasenbourg n’abritent plus guère de seigneurs, de gentes demoiselles ou de chevaliers-brigands, ils sont aujourd’hui le repaire d’anges gardiens à la mission bien particulière : sauvegarder et valoriser les vestiges de ces nobles vigies séculaires. Ce sont les « veilleurs » des châteaux forts, lancés depuis une vingtaine d’années dans un inlassable travail d’entretien et de restauration.

Château de la Wasenbourg ©OTI de l'Alsace Verte

D’un rempart branlant menacé de s’effondrer par une fissure épaisse comme une main d’homme, ils photographient l’état, déposent à terre chaque pierre minutieusement numérotée, appliquent une couche de mortier sur l’assise puis relèvent le bloc qu’ils scellent à l’endroit exact où ils l’avaient retiré. À l’issue du chantier, le mur respire une nouvelle jeunesse. Ce n’est qu’un exemple de l’un des nombreux travaux de Sisyphe que mènent ces passionnés tout dévoués à leur château de cœur. Artisans, tailleurs de pierre, maçons, férus d’histoire, simples amoureux de ces forteresses déchues… Les profils sont divers et variés, de tous âges et pas forcément locaux, unis par la même volonté de maintenir vivant un patrimoine incomparable.

Les pionniers du Schoeneck

Le Schoeneck – « beau coin » – a eu le privilège d’être l’un des premiers châteaux alsaciens à bénéficier des bons soins de ces veilleurs. Cela fait déjà un quart de siècle que les membres de l’association Cun Ulmer Grün s’activent à révéler et relever la grandeur de ce vaste château bâti sur un éperon rocheux avec lequel il semble ne faire qu’un. Érigé au xiii^e siècle, il a la particularité d’avoir été entièrement et efficacement adapté à l’artillerie au cours du xvi^e siècle, comme en témoignent les tours imposantes avec leurs magnifiques canonnières dont certaines ressemblent davantage à des bouches en cœur qu’à des bouches à feu.

« L’enjeu n’est pas de reconstruire le château tel qu’il était avant sa destruction mais bien de consolider la ruine en l’état et de pérenniser les vestiges. Le mobilier que l’on peut dégager lors de fouilles, qui est ensuite déposé à la Maison de l’Archéologie à Niederbronn, permet aussi d’améliorer notre connaissance de l’histoire du Schoeneck », explique Marc Schampion, secrétaire de l’association. Ouverte à toutes les bonnes volontés, celle-ci déploie donc son action essentiellement les week-ends où il est évidemment possible d’échanger avec les membres lorsqu’ils prennent une pause bienvenue dans leur labeur herculéen.

Chateaux du Nouveau Winstein ©OTI de l'Alsace Verte

L’élégance du Nouveau-Windstein

Non loin du Schoeneck, à 6 km à vol d’oiseau, l’élégante ruine du Nouveau-Windstein bénéficie elle aussi du dynamisme de son association de veilleurs, actifs dès 2003 et constitués en association en 2016. Bâti au xiv^e siècle en remplacement du Vieux-Windstein voisin – repaire de brigands détruit en 1332 –, le Nouveau-Windstein, divisé en parties basse et haute, conserve un magnifique donjon à la façade intérieure percée de fenêtres gothiques, le palais et les portes d’entrée ogivales flanquées d’un bastion triangulaire et d’une tour ronde du xv^e siècle. Sous le donjon, on retrouve l’« architecture de rocher » caractéristique de la région, avec une salle souterraine creusée dans le roc, munie de trois colonnes.

Sous l’impulsion des veilleurs, le site a fait l’objet d’importants travaux d’équipement touristique en 2015, permettant de sécuriser la visite grâce à une coursive donnant accès au second étage du palais. Arpenter le Nouveau-Windstein s’accompagne de la découverte de son aîné, le très romantique Vieux-Windstein, dont les vestiges, étirés sur 160 mètres dans un chaos rocheux, s’imbriquent étroitement aux gigantesques monolithes de grès qui en forment l’appui et dans lequel les bâtisseurs ont creusé couloirs, escaliers, salles, cachots et puits profond de 41 mètres. De quoi ressentir quelques frissons.

La fière allure de la Wasenbourg

Perché sur une extrémité du Reisberg dominant Niederbronn-les-Bains et face au Grand Wintersberg, point culminant (581 m) des Vosges du Nord, se dresse le château de la Wasenbourg. L’édifice occupe l’emplacement d’un temple gallo-romain dont subsistent des traces au pied du Wachtfelsen, « rocher du guet » marquant la pointe orientale du site. Une fortification est attestée au viii^e siècle mais la ruine actuelle est celle d’un manoir résidentiel bâti par les Lichtenberg au xiv^e siècle et restauré en 1535 après sa mise à sac au cours de la Guerre des Paysans. L’enceinte extérieure a presque totalement disparu mais le palais garde fière allure, protégé par un énorme mur-bouclier haut de 18 mètres et de 4 mètres d’épaisseur, dans lequel ont été aménagés d’étroits escalier, salle de garde et accès à la plateforme sommitale. Cette configuration illustre la mutation du système défensif de la fin du Moyen Âge, qui élimine le donjon au profit d’une puissante défense frontale derrière laquelle s’abrite l’habitat.

Le bon état de conservation de l’ensemble doit beaucoup aux Amis de la Wasenbourg qui s’emploient depuis 2006 à sauvegarder, réhabiliter et promouvoir le château et ses abords, bien que l’association se heurte à certaines lourdeurs administratives de l’État, propriétaire du site. Depuis une dizaine d’années, ces associations sont fédérées, avec celles d’une vingtaine d’autres châteaux, au sein de l’association Châteaux forts d’Alsace, instigatrice du fameux chemin du même nom, qui est à l’Alsace ce que le chemin de Stevenson est aux Cévennes : une colonne vertébrale de l’enchantement.