Sélection BD par "Les balades dessinées"
La sélection BD de cet hiver, par Stéphane Linderer et Verena Spaeth, de la librairie "Les balades dessinées" à Haguenau.
Les mag’ Elle, Pilote, Lui, Le Point, Paris Match, Jazz magazine ou Lire, les éditions Marabout ou Gallimard… Rencontre avec Jean Alessandrini qui a contribué à donner ses lettres de noblesse à l’art graphique et typographique. Exposition « Jean Alessandrini, Aventures alphabétiques », du 15 janvier au 15 mars 2025 à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.
Partout dans son appartement strasbourgeois, des rangées de bouquins, d’hebdomadaires, de VHS, de magazines, de DVD… Gaston Lagaffe, Rio Bravo, Goscinny, Glen Baxter, Mickey, Ensor, Hatari, Sempé ou Saul Steinberg, l’un de ses maîtres… L’oeil malicieux, Jean Alessandrini fouille dans une de ses bibliothèques pour dénicher un album des Aventures de Tintin jusqu’alors inconnu au bataillon : L’Horloge aux cinq aiguilles. « En 1983, à la mort d’Hergé, on décréta qu’on ne devait plus faire d’albums de Tintin, alors, par esprit de contradiction, j’ai réalisé cette fausse couverture et imaginé un scénario dans lequel le héros reporter visite le seul endroit où il n’était encore jamais allé : le futur ! »
À la marge
Considéré comme « un cancre » par ses parents et par ses professeurs car incapable d’arrêter de crayonner les marges de ses cahiers, le jeune garçon (né en 1942 à Marseille) se forge une solide culture dans les salles obscures, une bonne école alternative où il dévore comédies musicales, films en technicolor, westerns, Kubrick, Welles, Preminger… Le septième art actuel ? « Le cinéma d’aujourd’hui ressemble à Bruce Willis dans Le Sixième Sens de Shyamalan : il ne sait pas qu’il est mort ! » Hitchcock est celui qui le fascine le plus : « Alfred ne reculait devant rien ! » Le maître du suspense le marque au fer rouge, pour ses longs métrages, bien sûr, mais aussi ses fidèles collaborations avec le génial compositeur Bernard Herrmann ou, surtout, le graphiste Saul Bass, auteur de génériques, d’affiches et même de séquences animées pour La Mort aux trousses, Psychose ou Sueurs froides avec son vertigineux visuel tout en circonvolutions. Jean Alessandrini, qui a notamment édité Une histoire à spirales chez Grasset (1994), encense cette figure géométrique : le prodigieux « charme de la spirale, extraordinaire association de courbes », commente-t-il avec son sens aigu de la formule.
Fou d’images et déjà en proie au « virus du perfectionnisme » qui ne le quittera plus, Jean entre à l’école d’arts graphiques Corvisart à Paris et découvre les gravures de Dürer, la Vénus de Botticelli, les toiles de De Vinci et toute la peinture de la Renaissance. Il se prend de passion pour le goût des formes, le dessin des lettres de l’alphabet et autres « divertissements graphiques ». Dès le début des sixties, il travaille dans la presse en tant que maquettiste, typographe et illustrateur. La méthode est artisanale : ciseaux et tubes de colle, loin de Photoshop et de l’intelligence artificielle. Paris Match, Lui, Elle… Ses créations « ne se nourrissent que de perfection. La facilité ? Jamais ! » Il s’enthousiasme pour tous les possibles du « monde de la lettre » : ses typos Akenaton ou Vampire (1969) sont « deux caractères de base » qu’il « colle » dans des magazines ou des projets éditoriaux comme la collection de polars de Marabout. Jean s’enflamme lorsqu’il évoque la lettre S, « le serpent et sa contorsion dynamique, la plus difficile à réaliser », ou le « g » minuscule « extrêmement complexe à dessiner ». Il voue un culte au point d’interrogation et aux chiffres 2, 5 et 8 aux courbes « très sympathiques ».
Abécédaires & bestiaires
Durant toute notre visite à son domicile, ce boulimique octogénaire ne cessera de courir dans tous les sens pour illustrer ses propos : couvertures de livres pour Marabout, exemplaires de Typomondo, sa revue des années 80, roman « Sherlock Holmes : compléments d’enquête » (2021), illustrations d’ouvrages pour la jeunesse, pages de journaux, jeux typographiques (ses mots images), numéro d’Alizarine Royale 2023, avec un élégant éléphant en couv’, ou dernières expérimentations graphiques : une pachydermique typo décrivant un autre éléphant, animal qu’il découvre à Marseille, tout petit, abasourdi, par l’existence « in vivo » d’une pareille créature. « Je vivais alors avec Sophie Kniffke, illustratrice strasbourgeoise qui, elle, dessinait des ours. Alors, je lui écrivais des histoires d’ours pour Grasset. » Sans coups de griffes ou prises de bec. « Les animaux cohabitent bien mieux que les humains ! »
Exposition « Jean Alessandrini, Aventures alphabétiques »
Du 15 janvier au 15 mars 2025 à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
bnu.fr
Par Emmanuel Dosda
Portrait Thomas Lang