Exposition : Muette, la carpe ?
En 1878, Émile Gallé produit son chef-d’oeuvre "Le Vase à la Carpe", devenu emblématique des collections du Musée du verre de Meisenthal et la pièce maîtresse de l’exposition "Muette, la carpe ?" jusqu'au 30 décembre.
À Rixheim, l’entreprise Zuber fabrique à la main, depuis plus de 200 ans, d’immenses papiers peints colorés. Un travail artisanal et titanesque, unique en France.
Dans l’idée, le papier peint ne fait pas forcément rêver : entre la tapisserie écornée de chez Mémé et la folie des motifs à bas prix propulsés par les émissions de home-staging, ce n’est pas toujours très raffiné. Mais en arrivant au 28, rue Zuber – portail gigantesque, parc luxuriant et bâtiment en U classé aux monuments historiques –, difficile de ne pas se dire qu’on est dans la cours des grands. Au centre, c’est l’hôtel de ville de Rixheim, à droite, le musée et sur la gauche, la manufacture Zuber. « C’est une ancienne commanderie de chevaliers teutoniques, qui a été reprise par la maison Dolfus – connue notamment pour sa société de textile DMC – en 1797. Elle y a installé son atelier d’impression sur papier, qui était jusque-là établi à Mulhouse et dont les locaux étaient devenus trop petits », explique Sébastien Paillard, le directeur de la fabrique.
Depuis août dernier, la compagnie est entre les mains du groupe Pierre Frey, une autre entreprise familiale française. « Bien avant notre arrivée, en 1802, c’est Jean Zuber, entré dans l’affaire comme commercial, qui en est devenu le propriétaire. Il a fait prendre un essor exceptionnel à cette industrie et a développé les motifs répétitifs et les décors panoramiques réalisés à la planche. Nous sommes à ce jour la seule manufacture au monde à encore travailler de cette façon ! » précise Sébastien Paillard, au milieu du showroom dont les murs sont couverts de scènes de vie d’époque. « Ce type de décor, vendu pour égayer les intérieurs, a évolué au fil des années entre les couleurs et les tenues des personnages. Et pour la petite histoire, les dessinateurs qui ont réalisé ces scénographies n’avaient jamais vu les paysages d’Amérique qu’ils dessinaient, tout est tiré de leurs recherches sur la base d’estampes et d’écrits. »
Puzzle infini
Motifs répétitifs, papier peint à la planche, tous ces termes semblent au premier abord bien mystérieux, « mais pas d’inquiétude, nous allons entrer dans le vif du sujet », glisse le directeur en s’orientant vers un escalier de fer qui disparaît dans les méandres de la terre. En bas, c’est la cave aux trésors, avec des étagères à perte de vue sur lesquelles se superposent des montagnes de plaques de bois. Certaines colonnes sont étiquetées : Brésil, Eldorado, chasse, jardin… et on a comme l’impression d’être face à un puzzle géant un peu poussiéreux. « Vous ne croyez pas si bien dire, lance Sébastien, l’entreprise a stocké chaque décor au fil des années. On estime qu’il y a ici 150 000 planches, mais on n’en connaît que 15 000 ! À la rentrée, nous allons entamer une opération d’audit pour tenter de toutes les répertorier. C’est notre outil de travail, comme le marteau d’un ouvrier. Elles ont longtemps été manipulées, parfois malmenées, maintenant elles sont protégées et classées au patrimoine national. »
À l’époque, les plaques étaient montées de la cave au grenier à la force des bras dans des escaliers étroits. Heureusement, depuis, un monte-charge a été installé, « mais ça n’en reste pas moins physique ! » plaisante Sébastien Paillard. Avant de rencontrer ceux qu’il surnomme « les stars », un détour par les combles dévoile la première étape de l’élaboration du papier peint. Face à nous, une gigantesque tablée qui pourrait accueillir tout un mariage : c’est là que le papier vierge est étalé pour créer les ciels Zuber. « Il faut un petit peu d’imagination, mais dites-vous que sur cette première étape, huit mains s’activent en simultané pour réaliser le dégradé. Il doit être régulier puisqu’il peut y avoir jusqu’à 20 lés [rouleaux de papier peint] placés côte à côte. Si ce n’est pas uniforme, pour un coucher de soleil par exemple, ça se voit de suite. On ne peut pas se permettre des ratés. » La peinture s’étale à la brosse, puis le tout est mis à sécher sur d’immenses étagères. Une fois cette fastidieuse étape passée, direction la salle de transformation dans laquelle se déroule le plus gros de l’action.
Magnum opus
Ils sont sept à travailler dans l’immense atelier. « Sydney, c’est celui qui vole », indique Sébastien Paillard en désignant un homme les pieds dans le vide, appuyé sur sa presse – « gare à ne pas trouer le papier, il faut appliquer la bonne pression ! » Plus loin, il y a Khalid, 36 ans d’entreprise, qui forme Fernando, arrivé il y a six mois. Au poste suivant, Youssef, 20 ans d’entreprise, Lucas, ébéniste qui vient d’arriver, et Olivier. Tous sont imprimeurs à la planche, hormis Bruno, le coloriste qui s’assure d’éviter les fausses notes. Les imprimeurs utilisent les outils et techniques des anciens et sont spécialisés soit dans l’ornement panoramique, soit le répétitif. « Tout se fait étape par étape, chaque planche pressée va apporter une couleur, un motif, et une fois le papier sec, une nouvelle planche peut être utilisée pour compléter la scène au fur et à mesure », explique Sébastien Paillard. Ça grince, ça pousse, ça glisse, et à force de superpositions de planches sur le papier, comme un gigantesque sandwich, les esquisses prennent vie et deviennent bâtiments, personnages ou motifs fleuris.
La fin de la visite approche et une question s’impose : combien ça coûte et qui peut se permettre d’acheter de tels chefs-d’œuvre ? « Il faut compter 8 à 18 mois pour fabriquer un décor panoramique. Le prix varie de 8 000 à 50 000 euros, tout dépend de la largeur du dessin et du nombre de couleurs. Pour les motifs répétitifs, comptez entre 500 et 1 500 euros le rouleau. » Quant aux chanceux acquéreurs, il s’agit principalement d’hôtels, de restaurants et de décorateurs pour une clientèle plutôt américaine ou moyen-orientale, 80 % du chiffre d’affaires de Zuber se faisant à l’étranger. Le papier alsacien ne manque donc pas de voyager aux quatre coins du monde… pour faire voyager à son tour.
Zuber
28, rue Zuber, à Rixheim
@zuberofficial
Par Lucie d’Agosto Dalibot
Photos Constance E.T. De Tourniel