Galerie Ritsch-Fisch : Monde de brut

De Darger à Albert, en passant par Bohnert. Depuis 1996, Ritsch-Fisch est une référence internationale en matière d’art brut. Le travail des outsiders historiques compose un solide socle à la galerie qui ouvre ses cimaises à d’autres artistes s’éloignant de la stricte définition de Dubuffet. Rencontre avec Richard Solti, passionné à l’incroyable parcours, heureux propriétaire du lieu.

Richard Solti, propriétaire de la galerie d'art JP Ritsch-Fisch
Richard Solti, galeriste et propriétaire de la galerie d'art Ritsch-Fisch. ©Sybilla Weran

Une gouache de Carlo Zinelli, un dessin d’Henry Darger ou une impressionnante architecture en cigarettes de Philippe Vindal. Nous sommes dans le bureau de Richard Solti, successeur depuis deux ans de Jean-Pierre Ritsch-Fisch. Ce dernier a eu du flair : si aujourd’hui, l’art brut est partout célébré, c’était loin d’être le cas au milieu des années 90. Dubuffet a théorisé cette expression artistique hors normes, inspiré par les réflexions du psychiatre Hans Prinzhorn dont la collection fut montrée dans le cadre de l’exposition d’art dégénéré orchestrée par le régime nazi pour persifler les modernes, jugés trop éloignés de l’académisme et de l’héroïsme aryen. Dubuffet, accompagné du Corbusier et de Jean Paulhan, s’est intéressé à « la création des fous » en réaction à la vision fasciste. « Le regard que l’on porte sur l’art dit quelque chose de la société qu’on veut construire », affirme Richard Solti, désormais propriétaire de la galerie.

Ritsch-Fisch a débuté en présentant le travail des patients d’hôpitaux psychiatriques « recensés » par Dubuffet en ses 22 cahiers : Augustin Lesage, Philippe Dereux ou Aloïse Corbaz. Des artistes bruts « certifiés », présents dans La Collection de l’art brut de Lausanne. La galerie s’est rapidement ouverte à d’autres démarches, comme celle d’Hervé Bohnert, sculpteur méticuleux et artisan boulanger. Très vite, elle est devenue incontournable, avec ses choix esthétiques forts, précurseurs, radicaux, jusqu’à incarner aujourd’hui l’une des plus importantes galeries d’art brut à l’échelle mondiale.

Intérieur de la galerie d'art JP Ritsch-Fisch.
Galerie Ritsch-Fisch ©Sybilla Weran

La condition humaine

Rien ne prédestinait Richard à une carrière de galeriste. Né à Belleville, d’une famille modeste, ce mauvais élève s’engage dans l’armée pour fuir son HLM familial trop étroit. De Sarrebourg, il vole jusqu’en ex-Yougoslavie et en Afrique, et il commence à collectionner des objets à première vue « archaïques », masques et statuettes. À Sarajevo comme au Rwanda, Richard Solti s’attache à observer « la condition humaine », les soubresauts du « vivant » même lorsque l’espoir semble avoir déserté.

Après l’armée, il se reconvertit et travaille au sein de centres sociaux-culturels, notamment à la Meinau. Il reprend ses études, soutient une thèse, publie un ouvrage sur les mythologies personnelles, aujourd’hui dans les rayons de la librairie Kléber. Comment passer de soldat à galeriste via la case éducateur de rue ? Au début des années 2000, Richard fait l’acquisition d’une étrange poupée textile de Nedjar, hideux objet du désir à la fois « dégoutant et fascinant ». Il évoque « un cocktail d’émotions » ressenti lors de cette découverte, un « choc esthétique et existentiel ». Face à l’œuvre faite de chiffons, le reste lui semble bien « fade ».

Oeuvre de la galerie d'art JP Ritsch-Fisch.
Galerie Ritsch-Fisch ©Sybilla Weran

Vies fracassées et sublimées

Lorsque le créateur de la galerie prend sa retraite, Richard relève le défi, conscient du poids de l’histoire de la galerie et de son rayonnement, mais poussé par son amour de l’art et « des vies parfois fracassées que les artistes ont la faculté de sublimer avec un bout de papier et une mine de crayon cachée sous un ongle. Ils voyagent et nous amènent avec eux. Ces gens ont vécu dans des conditions extrêmes, mais plutôt que de se mettre la corde au cou, ils ont raconté le vivant, la puissance de l’existence. »

Oeuvres de la galerie d'art JP Ritsch-Fisch
Galerie Ritsch-Fisch ©Sybilla Weran

L’élégant maître des lieux a pour intention de « faire redécouvrir le travail des artistes historiques de l’art brut et montrer celui de jeunes artistes contemporains qui sont capables d’anticiper notre temps, de percevoir ce qu’on ne voit pas encore ». Richard et sa collaboratrice, Charlène Paris, situent tous les artistes qu’ils défendent sur le même plan, préférant construire des dialogues plutôt qu’ériger des chapelles. Nouvelle « recrue » : Cassandre Albert, plasticienne scénographe sortie de la HEAR l’année dernière dans un magnifique nuage de fumigène, à l’occasion de son projet de diplôme : une performance/ascension dans les hauteurs brumeuses de l’église Saint-Guillaume. Une randonnée artistique a priori éloignée des figurines en plâtre de Morton Bartlett ou des papiers d’emballage peints par François Burland. Pourtant, comme les outsiders, Cassandre Albert ressent une nécessité quasi vitale de créer, sortir les images qui emplissent sa tête. « Un artiste d’art brut a besoin d’extérioriser ses paysages intérieurs. De mon côté, j’ai besoin d’extérioriser, représenter encore et encore les paysages pour comprendre leurs rouages. J’oscille entre la machinerie théâtrale et la fabrication de paysages, selon une démarche qui me permet de questionner nos perceptions et les influences qui déterminent notre regard. »

Déplacer notre regard. Mêler pulsion, obsession et émotion. Valoriser le singulier, la spontanéité. Enfreindre les règles.


13.09 > 12.10
Exposition Rhapsodie, l’histoire de pellicules photos trouvées sur le site de Tchernobyl par le photographe Adrien Michel

29.11 > 01.12
La galerie sera présente  à la foire d’art contemporain St-Art Strasbourg

st-art.com


Galerie Ritsch-Fisch
6 rue des Charpentiers à Strasbourg
www.ritschfisch.com


Par Emmanuel Dosda
Photos Sybilla Weran