Le restaurant La Merise

À quelques heures d’enfiler leurs chemises blanches de service, Christelle et Cédric Deckert, à la tête depuis plus de huit ans du restaurant La Merise près de Haguenau, nous ont ouvert les portes de leur vaste demeure alsacienne. Une adresse aux deux macarons Michelin, où le classicisme à la française est revisité avec élégance par le couple de perfectionnistes. 

Cédric Deckert, chef du restaurant La Merise, derrière les fourneaux. © Christophe Urbain
Cédric Deckert derrière les fourneaux. © Christophe Urbain

Implantée en entrée du village de Laubach, à l’orée du Parc naturel régional des Vosges du Nord, La Merise semble noyée dans la brume en cette matinée d’automne maussade. Devant la grande bâtisse à pans de bois et briques de grès rose, nuls cerisiers sauvages, mais des rangées de pieds de vigne, prêts à rentrer en dormance pour l’hiver. « En alsacien, les habitants de Laubach étaient appelés les picoreurs de cerises », nous éclaire Cédric Deckert, le maître des lieux, déjà affairé à tailler des pommes en cuisine. Nous sommes passés par l’entrée des artistes, pressés que nous étions de fuir la fraîcheur humide des premières heures de l’aube. 

Cocon aux tons nacrés

Pendant que Cédric finit sa mise en place, Christelle, sa femme, nous conduit au salon. La lumière tamisée du lieu, sa moelleuse moquette beige, ses discrets tableaux dorés et ses grandes baies vitrées ouvertes sur les champs alentour, invitent à l’indolence. « Nous voulions créer un lieu qui donne une impression d’espace, où les clients pourraient prendre leur temps », confirme le chef aux deux étoiles Michelin, venu nous rejoindre autour d’un cake et de trois cafés. Ce restaurant de plus de 600 , le couple l’a construit de toutes pièces, utilisant pour l’extérieur des matériaux récupérés sur d’anciennes maisons alsaciennes et optant à l’intérieur pour une décoration moderne. Une dichotomie qui se retrouve aussi sur la carte. « Je n’aime pas ce terme, mais on retrouve effectivement dans mes plats une base classique, rehaussée de petites touches exotiques », concède Cédric Deckert de sa voix faussement fluette. « Je pense surtout que ma cuisine reflète mon caractère : franc, direct, sans superflu. » Et c’est vrai que le quadragénaire semble aimer aller droit au but, avec ses réponses courtes et ciselées, et ses phrases sans détour.

Cédric Deckert, chef du restaurant La Merise, retire les arêtes des soles. © Christophe Urbain
Cédric Deckert retirant les arêtes des soles. © Christophe Urbain

L’école de la rigueur

Sa maîtrise des grands classiques de la gastronomie française, le chef la tient de son parcours : un bac pro en alternance à l’Auberge de la Bruche (adresse gastronomique de Dachstein), une première expérience dans un établissement étoilé, Au Cygne à Gundershoffen, sous l’ère du couple Paul, puis 15 ans à Baerenthal, au sein de la brigade de l’ancien chef triplement étoilé de L’Arnsbourg, Jean-Georges Klein. « Tous m’ont enseigné la rigueur et la valeur du travail. » Le sens de la discipline et de la précision aussi, de même qu’un attachement aux saveurs alsaciennes. « J’ai toujours été dans des restaurants de famille, ici en Alsace, je ne suis pas passé par les grands palaces parisiens, confirme Cédric Deckert, mais j’ai l’esprit compétitif, alors j’ai participé à de nombreux concours nationaux et internationaux. » Comme les Olympiades des métiers, dont il a disputé la finale à Séoul. C’est d’ailleurs ce même goût du défi qui l’amènera fin 2016 à ouvrir avec sa femme Christelle – rencontrée sur les bancs du lycée hôtelier – le restaurant de Laubach. À l’époque, ils ont tout juste 35 ans. « On avait toujours eu pour projet de créer notre propre restaurant, on voulait un lieu unique », justifie le couple d’Alsaciens d’origine, en nous invitant à les suivre en cuisine.

Christelle Deckert, maîtresse de maison, arrangeant un bouquet blanc. © Christophe Urbain
Après une première formation en cuisine, Christelle Deckert a suivi un CAP en salle à L’Arnsbourg et y est restée une quinzaine d’années. © Christophe Urbain

Un ballet bien rodé 

Confortablement lovés dans les fauteuils du salon, nous n’avions pas entendu les équipes arriver. Dans un silence paisible, chacun oeuvre à sa tâche : l’un épluche les oignons, une autre cisèle du gingembre, un troisième va chercher des préparations dans une cabane extérieure, tandis qu’un des membres plus chevronné de la jeune brigade s’attelle aux préparations des viandes et qu’un dernier duo s’occupe des desserts.

Dans la salle à manger aussi c’est une calme effervescence. Les rares grains de poussière sont chassés au plumeau, l’aspirateur explore minutieusement chaque recoin et de belles nappes d’un blanc immaculé sont dressées sur les tables rondes. « Nous changeons la taille des tables en fonction du nombre de convives », nous explique Christelle Deckert en repiquant quelques lys dans un somptueux bouquet blanc. Aucun détail n’échappe à l’oeil vigilant de la maîtresse de maison, qui dirige ses équipes dans un sourire communicatif. 

Maxime Ohlmann, le second de cuisine, cueillant des herbes aromatiques dans le jardin. © Christophe Urbain
Maxime Ohlmann, le second de cuisine, est arrivé à La Merise il y a sept ans.
© Christophe Urbain

Produits haut de gamme

Il est désormais 10 h 30 et les premières odeurs commencent à s’échapper de la cuisine. Tablier autour du cou, Cédric Deckert est en train de retirer les arêtes des soles, qu’il vient de fileter. « Nous ne travaillons que des produits d’exception », nous explique le chef en allant vérifier la réduction d’une des sauces qui bouillonnent sur le feu derrière lui. « Pour chaque viande, chaque poisson, nous cherchons le meilleur fournisseur. C’est difficile, car les produits de luxe sont convoités par tous les restaurants gastronomiques. » Parmi les indétrônables de sa carte : les langoustines, les Saint-Jacques, le foie gras, le boeuf Wagyu du Japon, le gibier, la truffe. Les herbes et aromates viennent souvent du jardin. « C’est le cas aussi des fruits rouges, à la saison estivale, et chaque année nous plantons de nouveaux arbres fruitiers. Nous en avons désormais entre 70 et 80. » Il y a un an, un jardinier a été embauché à temps plein, pour s’occuper du verger et pour lancer un potager. « Mais quand on gère une table gastronomique, il faut du volume, nous ne serons jamais autosuffisants en fruits et légumes », admet le chef réaliste. 

Assiette de Saint-Jacques, vinaigrette aux truffes, salade d’artichauts, herbes salées et caviar Osciètre. © Christophe Urbain
Au menu ce midi : Saint-Jacques, vinaigrette aux truffes, salade d’artichauts, herbes salées et caviar Osciètre. © Christophe Urbain

Au millimètre près

À le regarder évoluer en cuisine, stylo épinglé à la poche, réglette dans le tiroir, balance de précision à portée de bras, une illumination me vient : Cédric Deckert porte parfaitement son nom. Sa cuisine ne tolère pas les approximations, elle est à angle droit. « On n’a pas le temps pour l’imprévu », me confirme le chef perfectionniste en coupant des carrés de foie gras. Ici tout est parfaitement calibré, pesé, dosé. Et ça se ressent dans l’assiette. Les sauces que le chef a constamment goûtées lorsque nous étions avec lui aux fourneaux, sont d’une maîtrise parfaite. La cuisson des viandes et poissons, irréprochable. La présentation millimétrée. Côté cave, la sélection du sommelier Joël Brendel fait honneur aux vins alsaciens, avec plus de 180 références du terroir – sur 480 au total – en rouge comme en blanc. Une partie s’expose dans la belle cave vitrée qui jouxte le salon. Le reste est gardé bien au frais dans un endroit propice au vieillissement des bouteilles, qui profitent elles aussi du temps suspendu qui règne à La Merise. 


La Merise
7, rue d’Eschbach à Laubach
www.lamerise.alsace


Par Tatiana Geiselmann
Photos Christophe Urbain