Le sport au lycée

Le sport hors les clubs
Saison 1 | Épisode 3/3
À L’ÉCOLE

Tout au long d’une série en trois épisodes, avec cliffhanger et tout le tintouin qui va bien, nous nous (re)plongeons dans le sport à l’école. L’épisode 1 était dédié à l’école primaire, le 2e aux années collège et, de fait, nous terminons entre les murs du lycée. Cette fois, il sera question de coeff., d’escalade, du Palladium,de swag, de pompiers et même de K-pop.

Le lycée n’est pas exactement le théâtre des nuances. « J’aime pas le sport, ça sert à rien et on transpire » ou « C’est trop ma matière préférée, d’façon tout le reste j’suis nul. » Ça paraît caricatural, mais il faudra nous croire ; on ne fera pas de sondage pour justifier de cet état de fait. Le sondage c’est le mal de ce siècle.
Au lycée, le sport, on l’aime ou on le quitte. En fait, à bien y repenser, il y a tout de même une petite exception, une virgule, un point de nuance : « J’aime pas trop le sport mais je me donne quand même à fond, ça pourra m’aider à rattraper ma note au BAC ! » Car oui, l’EPS c’est aussi une discipline qui compte au moment du sacro-saint examen. À coeff. 2, c’est pas le Pérou mais ça vaut pas des clous.
Sur le site officiel du ministère de l’Éducation Nationale, voici ce qu’on peut lire (enfin, sous réserve de prochains changements, puisqu’il paraît que finalement le changement c’est maintenant) : « Tous les lycéens suivent un enseignement obligatoire d’EPS de 2 heures par semaine. Par la pratique scolaire, adaptée et diversifiée, d’activités physiques, sportives et artistiques, l’EPS concourt à l’épanouissement des élèves. Cet enseignement participe à la condition physique et à la bonne santé tout au long de la vie tout en développant des valeurs citoyennes. Il permet un engagement corporel, qui représente pour beaucoup de jeunes la seule pratique d’une activité physique. Il tend à donner le goût et le plaisir de pratiquer de façon régulière et autonome. L’évaluation de l’EPS à l’examen du baccalauréat s’effectue par contrôle en cours de formation (CCF) au cours de la classe terminale. La note de l’épreuve obligatoire résulte d’un ensemble certificatif (sic) comportant trois épreuves faisant appel à des compétences distinctes. Cette note est affectée d’un coefficient 2. »
Au lycée, ce n’est pas la même limonade selon que vous soyez en Seconde ou en Première / Terminale. « En classe de Seconde, les sports sont imposés, alors qu’en Première et Terminale, avec le BAC en objectif, on fonctionne avec des menus. On soumet aux élèves plusieurs sports parmi cinq familles, ils choisissent et à la majorité, on décide des trois sports qui animeront l’année », explique Patrick Billat, professeur au lycée Marie Curie, à Strasbourg.

ZUT Magazine - Le sport à l'école au lycée Marie Curie, à Strasbourg. Photo : Pascal Bastien

Alors, dans la famille Performance je voudrais l’athlétisme (vitesse / relais) et la natation (vitesse), dans la famille Gymnastique l’accrosport et l’escalade, dans la famille Confrontation le badminton, le tennis de table et le squash (en individuel), le basket, le hand et le volley (en collectif) et pour finir dans la famille Connaissance de soi, je demande le step et la musculation. Souvent, la bonne pioche ressemble à ce tiercé : accrosport / step / badminton, avec aussi une tendance favorable à l’escalade, l’athlétisme et le basket. Encore une fois, le tennis de table est un parent pauvre du sport français ; c’est dommage parce que quel autre sport permet de se donner bonne conscience tout en restant dans sa cuisine ? La natation, elle, a disparu des radars. « En primaire et au collège, c’est obligatoire, au lycée ce n’est plus le cas. Et si la natation n’est plus obligatoire, elle disparaît. Les élèves, surtout à cet âge, ne tiennent pas à se montrer en maillot. » Souvenirs, souvenirs…
« Passer du collège au lycée, c’est comme changer de métier ! Après dix ans passés à enseigner au collège, j’avais l’impression d’anticiper toutes les situations, d’avoir réponse à tout », s’amuse Patrick Billat, heureux du chamboulement. Il ne faut pas de longues heures d’observation pour recenser les nombreuses différences. Au lycée, le sport n’est plus le premier exutoire, il y a désormais les fêtes, l’amour et Instagram pour cela. À un élève arrivant pile à l’heure, davantage en tenue pour un concert rock au Palladium que pour une séance d’athlé, Patrick Billat demandera : « Tu te changes n’est-ce pas ? » / « Oui monsieur. » Résultat : le garçon est en tenue de sport mais tout a fait compatible avec un concert rock au Palladium. C’est ça, le swag.

ZUT Magazine - Le sport à l'école au lycée Marie Curie, à Strasbourg. Photo : Pascal Bastien
Patrick Billat, professeur au lycée Marie Curie, à Strasbourg.

“Ce que j’attends d’eux, c’est qu’ils progressent, qu’ils puissent faire mieux que la fois précédente.”

En primaire, on met les fringues que nos parents ont préparé le matin (on choisit pas sa famille). Au collège, on met les premières fringues que l’on trouve (on choisit pas son placard). Au lycée, on met les fringues à la mode de chez nous (on choisit pas son époque). Alors, évidemment, le cours d’EPS est un curseur ; des vestiaires au terrain, on appréhende son corps et le regard que l’autre, Le Grand Autre, peut poser dessus. On travaille sa foulée, sa gestuelle, sa roulade ou son lancer comme si l’on jouait là l’amour de sa vie, Le Grand Amour.
« J’aime pas me changer, j’aime pas mettre un short ou des baskets ou ce genre de trucs », concède une élève, qui attend que ça passe. Il y a aussi le style désabusé, avec le sourire : « Je fais du sport parce que j’ai pas le choix, avoue Eda, l’air de rien. Mais je fais des efforts hein, on me dit que c’est bon pour la santé. Je me suis même inscrite à la salle de sport ! Mais bon, c’est histoire de. » Romane, elle, s’échauffe en faisant un tour de piste, tranquillement, casque dans les oreilles. « Le prof est d’accord, c’est cool et ça m’aide ! J’en profite pour écouter de la musique qui me motive. Là c’est de la K-Pop. » De la K-Pop ? « Une sorte de techno sud-coréenne. » On prend note.
Un peu plus tôt dans la matinée, cours d’escalade, avec une classe de Seconde. Les garçons d’un côté, les filles de l’autre, comme en politique. « Bon là c’est vrai ils ne se sont pas trop mélangés, mais ça vaut surtout pour les Seconde, en Première et Terminale il n’y a plus trop de soucis avec ça », assure Patrick Billat. Au lycée Marie Curie, la mixité s’entend dans le sens le plus large du terme : « On est le lycée de secteur pour des quartiers très différents et éloignés (Vauban, Robertsau, Cronenbourg) donc on a des gamins de partout, qui arrivent ici sans trop se connaître. La classe de Seconde est celle de la découverte pour beaucoup de choses. » C’est là que le cours d’EPS fait sens ; il permet de mieux se connaître. « Ce que j’attends d’eux, c’est qu’ils progressent, qu’ils puissent faire mieux que la fois précédente. C’est ce que je mets en place dans le système d’évaluation ; les notes se calculent aussi bien en fonction de la performance que du progrès par rapport à un projet, l’idée étant de valoriser l’élève. En seconde, en tout cas ici à Marie Curie, toutes les matières, du français aux maths en passant par le sport, sont au même coeff. Ce qui garantit un investissement égal des élèves. »

ZUT Magazine - Le sport à l'école au lycée Marie Curie, à Strasbourg. Photo : Pascal Bastien

Et c’est évidemment favorable à l’EPS, discipline parfois prise à la légère. Jusque dans la salle des profs ou en conseil de classe ? « Il faut savoir se faire sa place, sourit monsieur le professeur. En tout cas, moi j’aime bien participer aux discussions d’orientation. Je suis d’ailleurs prof principal, ce qui m’implique à fond dans certaines décisions. J’ai des élèves qui sont en difficulté toute l’année, qui ont des moyennes faibles, le cours de sport est pour eux l’occasion de reprendre confiance. Et puis on voit en sport une facette des élèves que l’on ne voit pas forcément dans les autres cours. » Et à l’âge du lycée, les facettes sont multiples.
Patrick Billat échange beaucoup avec ses élèves, il n’est ni avare de compliments, prenant un soin particulier à magnifier chaque cap passé par un élève, ni de petites blagues bien senties. « Je m’amuse beaucoup avec eux, puis ils sont bon public ! » Les élèves ne sont pas en reste. Chamoun et Abdus se chambrent sur le choix de la voie à emprunter pour grimper le mur. Plus loin, Amal s’inquiète du silence : « Oh c’est trop calme là, parlez ! » Puis, quand elle est bloquée à la 2e prise, le professeur intervient : « Bouge pas Amal, j’appelle les pompiers ! » Finalement, et sûrement un peu piquée, elle atteint son Graal : « J’suis trop fière de moi ! » Son professeur aussi, et surtout, il le lui dit.
Fin de matinée, piste d’athlétisme, dernier cours pour des Première et Terminale avant l’évaluation du BAC. Les élèves s’encouragent, même si, à de rares exceptions près, aucun ne se réjouit du 3 x 500 mètres qui les attend. « Même moi j’aurais pas envie de le faire ! », confesse Patrick Billat, dont le physique robuste de rugbyman laisse à penser qu’il a avalé un bon paquet de tours de piste, fut un temps. À la sortie du premier tour, Shayan reconnaît qu’il préférait les séances de bowling de l’année passée. Un autre élève : « Y a un sport que je déteste vraiment c’est le step. » / « Mais c’est facile le step ! », lui répond son camarade, avec assurance / « Pas pour moi, j’ai des problèmes de coordination. » / « Ouais mais ça c’est un problème de toi avec toi. » Même après 500 mètres courus pied au plancher, on peut faire preuve de bon sens.

Quand les portes du lycée se fermeront, et pour ceux qui auront obtenu le précieux sésame, les cours de sport seront à ranger du côté des souvenirs. Ils auront alors toute une vie pour regretter cette époque d’insouciance, où l’on joue au foot avec une balle de hand, où l’on s’embrasse derrière un cheval d’arçon, où l’on prétexte une maladie rare de l’os du coude pour échapper à un duel d’escrime. En garde ! La grande vie commence.

Merci au Lycée Marie Curie et tout particulièrement à Catherine Bischoff et Patrick Billat pour nous avoir facilité la réalisation du reportage photographique qui accompagne cet article.


Par Romain Soublon
Photos Pascal Bastien