Êtes-vous en train d’écrire ces jours-ci ?
Je suis rentrée récemment des États-Unis [où il s’est rendu au cours de l’été, ndlr]. En général, il me faut une semaine pour me remettre mais j’étais obsédé par l’écriture d’un livre sur le brouillard qui constitue mon hommage à l’Irlande. J’ai travaillé huit heures par jour ; ça sera à nouveau un livre complètement différent. Pour moi, chaque livre est un défi, et il faut que j’expérimente un nouveau style. Là, c’est un conte sur le brouillard et la pluie, entre réalité et fiction. J’imagine de la pluie, j’imagine que chaque goutte que j’entends tomber le soir sur mon velux est une lettre de l’alphabet. Quand les gouttes se réunissent, elles forment des mots, et les mots dégoulinent dans la rigole, puis dans la rivière, et finissent en roman fleuve. Comme je suis très visuel, j’utilise en fin de compte un langage imagé. Le livre sortira l’année prochaine.
Une chose nous a paru étonnante récemment. Vous n’aviez pas conscience de votre statut d’artiste…
Alors là, je connais déjà la question, et les gens me croient pas : toute ma vie, j’ai vécu avec un complexe d’infériorité qui est une chose typiquement alsacienne. Après la guerre, à force de vous faire appeler “sale boche”, vous vous posez la question de votre identité. Moi, j’en ai plusieurs.
À l’époque nazie, à l’école, j’étais un petit nazi. Avec mes copains, dans la rue, j’étais un Alsacien et à la maison j’étais Français avec une mère chauvine. Alors qui suis-je et quoi ? Ça donne ce « caméléonisme », comme je le dis parfois. Être alsacien nous permet de nous adapter où que nous allions, parce que s’adapter c’est aussi adopter.
Pour répondre à votre question sur le sentiment d’infériorité, je ne peux regarder mes premiers livres que depuis trois ans : je revois avec plaisir ces dessins qui présentent la fraîcheur de l’innocence. Et puis, il y a eu cet instant de l’ouverture du Musée : je me sens comme un fantôme dans son opéra. Avec cette ouverture, j’ai eu le sentiment de tirer un trait sur ma carrière artistique et, en tirant ce trait, j’ai pris de la distance. Pour moi, d’avoir une exposition, de voir mes dessins accrochés au mur, c’était comme une torture : ça n’était jamais assez bien, tout devait être corrigé. Finalement, je reconnais que dans l’ensemble, ça va dans tous les sens, mais prendre ainsi des libertés, ne pas être l’esclave d’un style, c’est quelque chose d’important pour moi. La rencontre avec Werner Spies [journaliste, historien d’art et critique d’art allemand, ndlr], a été déterminante, il m’a convaincu de l’ampleur de mes productions… Je suis arrivé à m’accepter et je me sens libéré. Tout ce que je fais en ce moment – mes collages, mes objets ou mes sculptures –, j’en suis très content. Je n’ai jamais autant pris de plaisir dans ma vie qu’à mon travail en ce moment.