Éléa Pardo, styliste
Avec ses créations tirées au cordeau, la créatrice du jeune label strasbourgeois Éléa Pardo/Dans la peau replace les vêtements au coeur de leur espace-temps.
Depuis Diorissimo, neuf années se sont écoulées, et le monde a changé.
Le décès de Christian Dior et l’arrivée d’Yves Saint Laurent augurent une nouvelle ère. Il y eût la collection trapèze et la Révolution cubaine, l’élection et l’assassinat de JFK, et l’Angleterre a secoué le cocotier de la vieille Europe et du monde entier en leur envoyant la minijupe et les Beatles. Toujours menée par la France, la planète parfum continue quant à elle de tourner rond, sans révolution majeure. Même si cette décennie a vu débarquer sur les rayonnages quelques jus remarquables. Le De et L’Interdit, créés pour Audrey Hepburn (« Comment, vous voulez commercialiser mon parfum ? Mais je vous l’interdit ! ») chez Givenchy, Cabochard chez Grès, Calèche chez Hermès, Madame Rochas chez Rochas, chez Jean Desprez Bal à Versailles, merveille d’encaustique et de lourdes tentures de velours. Et puis Diorling chez Dior, Brut de Fabergé et Y de Saint Laurent. On assiste aussi à la naissance de la maison Diptyque, et à l’entrée en scène d’un parfumeur immense, Jean-Paul Guerlain.
Petit-fils de Jacques Guerlain (auteur notamment de L’Heure bleue, Mitsouko et Shalimar), qui le forme, on le dit capable de reconnaître trois mille nuances olfactives… S’il s’est distingué ces dernières années par des propos qu’il aurait mieux fait de ravaler, il reste l’un des très grands parfumeurs du XXe siècle, et l’auteur de tous les succès critiques et publics de la maison pendant plus de 20 ans. « Il flottait dans le sillage d’un cavalier, à l’habit rouge, de troublantes senteurs automnales auxquelles se mêlait un sensuel parfum de cuir. » Après un Chant d’arômes (1962) qui n’aura peut-être pas marqué l’histoire mais reste l’un des plus jolis parfums de la maison (et l’un des préférés de votre serviteur. e), Jean-Paul Guerlain s’inspire de l’univers de l’équitation où il excelle pour créer ce qui est, en vérité, le premier oriental masculin de l’histoire de la parfumerie. Peut-être en hommage à son grand-père, il construit ici le pendant viril de Shalimar, dont il reprend la structure.
Agrumes solaires et épices en tête, vanille et baumes chaleureux en fond, notes boisées en coeur qui remplacent les fleurs de son ancêtre de 1921, avec une pointe de cuir pour justifier le nom. Habit rouge est un parfum à la sensualité folle, qui semble tomber à point nommé dans une époque qui se libère de ses carcans, y compris de genre. Chaud et rond, doux et piquant, on y retrouve les nuances ambrées et poudrées qui font la signature des parfums de la maison, sans l’excès de vanille qu’on peut reprocher à son ancêtre féminin, ce qui le rend plus subtil et ambivalent. À la fois surprise et évidence, ce jus intemporel d’une belle profondeur évoque plutôt la traversée du Bosphore sur un bateau chargé de vanille et d’épices que celle du Bois de Vincennes sur un équidé bridé. Et témoigne du génie de Jean-Paul Guerlain. Après cela, viendra Chamade, et ça, c’est encore une tout autre histoire…
Parfum disponible au Printemps, aux Galeries Lafayette et chez Sephora
Par Corinne Maix
Photos Ignacio Haaser