Le premier trouble de La Fille et le Rouge vient sans doute de l’inévitable promiscuité entre la comédienne, le personnage public et celle qui tire les ficelles de ce thriller psychologique. À moins que cela ne soit une sorte d’anthropologie de l’amour. Ou un film. Comment ne pas imaginer Anne Brochet dans ce rôle de femme éperdue, mais de quoi réellement, franchissant l’océan pour tenter une relation invivable « parce que c’est cet amour-là, ou rien ». « Oh, je laisserai ce personnage à quelqu’un d’autre, moi je l’ai déjà joué en l’écrivant. J’ai même joué le rôle de l’homme [rires]. D’ailleurs j’ai joué tous les personnages. La part rêvée et la part vécue sont le Ying et le Yang de notre rapport à l’existence. On écrit aussi pour se débarrasser. Tous mes livres ont été cathartiques, c’est comme un vide-grenier, je répare bien l’objet et après, je donne. » Mais pas n’importe comment. Anne Brochet sait bien qu’en toutes circonstances, la politique nous traverse, et nous adverse.
La Fille et le Rouge n’est pas qu’une histoire d’amour minée par des pathologies personnelles, c’est un déchirement incessant entre deux terres, deux folies émancipées sur fond de marxisme, de sexe, de feu et de mort, une étude organique de la psyché intime et sociétale quand tous les antagonismes nous possèdent. C’est une écriture vertigineuse d’absolue solitude, sans lieux, sans noms ni temps, reliant désespérément chaque impossible à celui du monde. « On voit bien à quel point le trouble identitaire envahit les gens et plus largement ce besoin de savoir à quelle histoire ils appartiennent. En France, en Europe, c’est fort, j’avais aussi envie de partager cette chose. Et puis il y a une chose très importante qui est la volonté d’effacement chez elle, je veux dire l’effacement d’un historique féminin, comme celui qui guérit par exemple et auquel elle ne veut plus du tout appartenir. »
Pour celle qui fut mystique, ne parlant qu’à dieu et plus tard aux hommes, le ciel semble l’avoir écoutée, le théâtre et l’écriture lui rendent grâce en un pareil mouvement. Alors qu’elle s’en va « se recoucher un peu », avec un sourire espiègle, le salon qui nous avait été si gentiment réservé apparait soudain. Tous les fauteuils sont tendus de velours écarlate.
Anne Brochet, La Fille et le Rouge, Grasset
Par Nathalie Bach
Photos Pascal Bastien