André Kleinknecht raconte : « Nos parents, tous vignerons, allaient en montagne et faisaient du ski ensemble, ils étaient déjà potes. Ça explique aussi qu’on se retrouve tous dans le même bateau à faire de la bio. Le grand-père de Ludovic [Rohrer, ndlr] et mon père ont notamment été les premiers en Alsace à faire de l’enherbement. Dans le village, tout le monde a rapidement fini par les suivre… Aujourd’hui, ¾ des vignerons de Mittel’ sont en bio. » (En Alsace, 7,8% de vignerons sont en bio, à titre de comparaison…) À l’époque, tous vont chercher leur lait chez les Rietsch qui possédaient une ferme – soit dit en passant, le maraîchage, la famille y revient en dédiant 3 hectares au fermage. Le lien à la terre, toujours, qui n’est jamais sorti de la famille en sept générations. « 7e génération d’artisans-paysans », précise Jean-Pierre Rietsch qui lui non plus, n’a jamais désherbé. La nature et son respect sont comme inscrits dans l’ADN du village. « De toute façon, c’est d’abord de la vigne que le travail se fait, continue-t-il. C’est elle qui fait le bon vin. »
Le virus du vin nature
Entre 2000 et 2012, les conversions en bio se sont enchaînées et les certifications ont suivi : bio, biodynamie et patatras, les essais en nature. C’est Lucas Rieffel qui, à l’occasion de son mariage sort ses premières bouteilles en 2003 inaugurant alors sa série de pinot noir “Nature” qui fait encore et toujours date. Ils ont d’ailleurs tous commencé avec le pinot noir, plus facile à partir en macération, la fermentation se fait plus rapidement. Jean-Pierre Rietsch a mis le paquet : après une conversion en bio en 2008, il « passe tout en nature » en deux ans et diffuse la bonne parole à grande échelle. « Je me suis pas mal bougé pour aller vendre ailleurs. Je me souviens avoir loué une salle à Paris pour présenter mes vins, personne n’est venu… Puis, tout d’un coup, ça a explosé. J’ai profité des blogs qui fleurissaient à l’époque et commençaient à s’intéresser au nature. » Pour lui comme pour les autres, ce qui fait le bonheur des carnets de tendances gastronomiques du moment, n’a pas été une sinécure. « Il faut du courage pour ne pas mettre de soufre dans son vin et pour continuer à en faire aussi d’ailleurs… », commente Catherine Riss, la dernière arrivée qui a travaillé et vinifié chez Lucas Rieffel avant de monter son domaine et sa cave à quelques kilomètres de là. Et le courage, ils l’ont trouvé dans le collectif.
Patrick Meyer (le revoilà), Jean-Pierre Frick, Bruno Schueller et Christian Binner, les pionniers du coin, ont largement ouvert la voie, et par leurs conseils et leur regard, probablement insufflé cet esprit de communauté. « Ce sont des encyclopédies, ils ont clairement sorti le vin de la tôle dans lequel il était enfermé depuis 30 ans. Il y avait quelque chose de rassurant à les écouter sur leur approche du vin, raconte André Kleinknecht. Grâce à eux, on en a évité des conneries… » C’est aux côtés de Patrick Meyer que Ludovic Rohrer, le benjamin de la bande, s’est formé avant de reprendre le domaine familial : « Il m’a appris à travailler comme je l’entendais, à instaurer un autre rapport au travail. Je n’en serai pas là sans les autres vignerons alsaciens. » Encore aujourd’hui, les vignerons nature alsaciens se retrouvent pour monter des événements passionnants, D’Summer Fascht, ou l’automne dernier, des dégustations rassemblant 270 références au domaine Achillée adressées aux professionnels pour palier la catastrophe sanitaire. Par-delà les frontières de Mittelbergheim – où les fêtes, comme celle de la Saint-Jean, ont la vertu de rassembler les uns et les autres –, André Kleinknecht vante le côté collectif de l’Alsace : « C’est assez hallucinant ici, ça ne tient pas qu’au village, même si à Mittel’ ça fait longtemps qu’il y a un virus. Il y a de l’entraide sur toute la région. C’est un état d’esprit général : le partage est beaucoup plus présent dans le vin nature, d’autant qu’à l’époque, on n’était pas si nombreux à passer en bio. Le nature a resserré les pratiques et les personnes. »