En février dernier, les Musées de Strasbourg devenaient les bénéficiaires d’une donation exceptionnelle : la collection Poitrey-Ballabio, comprenant 17 tableaux et 40 œuvres sur papier du 16e au 19e siècle.
Avant d’intégrer définitivement les collections des Musées de Strasbourg, ces œuvres sont exposées à la Galerie Heitz. On les imagine ici dans leurs cadres, côte à côte, sur les murs d’une maison cossue. Habitant l’espace, habillant le quotidien de leur présence. On se surprend à fantasmer la vie à l’ombre de ces chefs-d’œuvre avant qu’ils n’entrent au musée. Et pour cause, derrière les cimaises de la Galerie Heitz, vibre encore la personnalité de Marie-Claire Ballabio et de Jeannine Poitrey, collectionneuses invétérées et généreuses donatrices. Chacun à leur manière, tableaux, dessins et gravures racontent un petit fragment de l’histoire de ces autodidactes prises de passion pour l’art.
Love art first sight
« Marie-Claire Ballabio et Jeannine Poitrey ont constitué une collection de 57 œuvres sur 30 ans. Ce qui fait à peu près 2 œuvres par an », rappelle Florian Siffer, conservateur du Cabinet des Estampes et des Dessins. C’est la collection d’une vie, d’une vie à deux, construite au gré des opportunités. Primes annuelles, économies et autres ressources personnelles ont nourri cette passion commune, parfois au prix de véritables sacrifices pécuniers.
C’est grâce à l’héritage de Jeannine Poitrey que les deux amies acquièrent leur première pièce, une crucifixion baroque italienne peinte par Francesco Trevisani. Traversée d’une lumière surnaturelle, c’est un véritable chef-d’œuvre. « Imaginez, elle a consacré tout son héritage à un seul tableau… Ce qui est très beau » remarque Dominique Jacquot, conservateur du Musée des Beaux-Arts. « C’est une œuvre très importante dans leur vie à toutes les deux », complète Florian Siffer. « La dimension affective est le moteur de leur démarche, Marie-Claire Ballabio en parle d’ailleurs comme des “œuvres d’amour”. »
« Toutes les œuvres viennent apporter soit un artiste soit un type d’œuvre que l’on n’avait pas encore. Il n’y a pas de doublons et toutes comblent parfaitement une lacune… C’est complètement inespéré ! »
Strasbourg est désormais la seule ville de l’hexagone à posséder une peinture de l’Autrichien Marx Reichlich et le seul musée de région à compter un Luca Signorelli. Une petite toile fascinante, datée du XVIIe siècle, fait aussi office de pépite. Tout en clair-obscur, elle est rehaussée par la touche vive et saillante du peintre, Orazio Borgianni. La scène, dramatique, est comme modelée par le clair de lune. « Il est rare d’avoir une esquisse de cette date, et c’est encore plus rare quand elle est de la main d’un caravagesque ! En général, ces derniers peignaient directement sur la toile, sans travail préparatoire », explique Dominique Jacquot.