Il y a toujours ce côté bande chez vous, le Groland, cette troupe de potes qui vous suit et qui apparaît dans vos films : Houellebecq, Poelvoorde… C’est indispensable à la création ?
G.K. : Non pas pour créer. Je dis souvent : on ne fait pas du cinéma, on fait table d’hôtes. On adore retrouver nos potes, parce qu’en plus, on ne les voit jamais. Sur Effacer l’historique, par exemple, on a fait venir Yolande [Moreau, ndlr], parce qu’on adore Yolande et son compagnon – son mari ? Je ne sais plus – et manger avec eux. Ce sont des bons vivants aussi. On fait presque des séquences pour les retrouver. Bon, là, il se trouve qu’elle a été coupée au montage… Quand on reçoit Benoît Poelvoorde sur un film, on sait que les soirées vont être compliquées, mais c’est tellement génial ! On forme une sorte de bande de pirates qui ont une autre vision de la vie. On n’est pas arrivistes, un peu déglingués… C’est une communauté d’esprits. Et puis, il y a aussi les gens pas connus. Un jour, j’ai rencontré Marius en faisant un reportage sur Roland Garros, il habite Marseille et ne vit avec rien, il a zéro thune. Et ce mec-là, je l’ai présenté à Benoît et on essaye toujours de le mettre dans les films, il vient quatre jours, on lui paye des bons repas. On aime bien les gueules cassées, les mecs un peu dingues. Enfin tu vois… L’amitié justement. C’est une manière de se rassembler.
J’aime bien cette idée de communauté d’esprits… C’est assez rare aujourd’hui, non ?
G.K. : Effectivement. Pour nous, le salut vient des gens qui ont une communauté d’esprits. C’est aussi pour ça que j’ai toujours aimé les surréalistes, les dadaïstes… des mouvements qui n’existent plus maintenant. Il n’y a plus de mouvements comme ça, enfin c’est dingue quoi ! Même en musique : avant, il y avait des milliers de groupes, maintenant, il y a des chanteurs seuls. Comme si l’individualisme dans les arts avait remporté le morceau… Un individualisme forcené. Et c’est aussi le cas dans la vie. Dans Effacer l’historique, qui est aussi une histoire d’amitié, nos trois copains se retrouvent après avoir participé au mouvement des Gilets Jaunes. Ils sont très différents, mais il y a des valeurs sur lesquelles ils se retrouvent.
Les Gilets Jaunes, on a pu voir cela comme un mouvement de solidarité, une communauté d’échanges. Il y a des gens qui se sont rencontrés, qui n’avaient pas foncièrement les mêmes idées et qui ne se seraient jamais parlés autrement.
G.K. : Il y a même eu des mecs du FN qui ont sympathisé avec des mecs de la CGT. Mais justement, il y a une certaine porosité entre les deux. C’est ce qu’il y avait d’un peu gênant dans ce mouvement. Je regardais ça avec un œil bienveillant mais aussi un œil lucide. Il faut dire que Benoît et moi, on n’a jamais trop aimé le côté militant. Je ne sais pas pourquoi. On devrait sans doute l’être un peu plus… Ce qui un peu décevant, c’est qu’il faut un leader qui parle bien, qui puisse passer à la télé. Il faut maîtriser le langage et avoir du charisme. Les mouvements aboutissent quand des mecs sortent du lot. Il y a vraiment cette théorie du chef et eux n’en voulaient pas. Quand on a fait le film Le Grand Soir avec Benoît Poelvoorde, il dormait déjà sur les ronds-points parce que c’était un endroit où personne ne le faisait chier. Il y avait cette idée dans le film, qui finissait sur cette question : « La révolution est-elle possible ? » On répondait clairement : non. Et quand le mouvement des Gilets Jaunes est arrivé, sans pour autant être révolutionnaire, on a senti qu’il y avait une espèce de révolte étonnante, quelque chose de très manuel. C’est pour ça qu’ils faisaient peur : ces mecs savaient utiliser une disqueuse. Donc c’était aussi très beau, et on a suivi ça avec beaucoup d’attention et de respect.
En même temps, je suis assez frappée par le fait que ces élans de solidarité finissent toujours par se tarir…
G.K. : C’est parce que tout se joue sur l’émotion du moment, notamment la peur. Sur les Gilets Jaunes, faire grève, c’est perdre son salaire : tu perds du temps et de l’argent. Forcément, au fil du temps et par la force des choses, les gens sont partis. Si on regarde le Covid et la solidarité qui s’est construite avec les soignants : on était tous chez soi, on avait que les informations à regarder, 24h/24. Il y a eu des morts, la peur de mourir, l’émotion… et puis… la vie a repris. C’est comme tout. Tout va reprendre, c’est la logique humaine.
Il y a un truc qui me fascine : on a quasiment oublié les Révolutions arabes. Il faut se rendre compte de ce que c’était ! Je trouve qu’on n’est pas assez respectueux des Tunisiens, on ne les aides pas assez alors que ce qui s’est passé est incroyable.
En fait, on est surinformé. T’as les BFMTV qui te noient dans une masse de trucs. Et puis tu as tes problèmes personnels. À chaque fois je tombe par terre : tu as un truc hyper important, puis tu vois Jean-Pierre Pernaut qui se fait opérer, tu reprends une bière, et paf, un attentat. C’est débile. On est pris dans un maelström d’informations, d’émotions qui passent et qui s’en vont. La vie c’est comme ça.