Vous concernant, c’est quoi la solution ?
La solution immédiate c’est d’attendre la fin du mois, notamment le 22 août, lorsque débute Ciné-Cool, et le 26 août date à laquelle les films sortent, puis tenir le coup jusqu’en décembre-janvier. Soit c’est down et on prend des mesures pour septembre : réduction de personnel, réduction d’horaires, trouver des aides directes, fermer les jours faibles, chômage partiel… je ne sais pas… Je me suis même dit, je me mets de côté pendant trois mois et je ne me paie pas. On est sur des solutions de bouts de ficelle. Là, il n’y a presque plus de solutions en fait. Ma dernière solution, c’est d’avoir recours à mon fonds de soutien [géré par le CNC qui prélève notamment et en moyenne 11% sur chaque billet vendu, cet argent va sur un compte qui appartient aux cinémas. Le CNC prélève 10% au passage, ndlr]. Ça, ça veut dire que je touche à quelque chose qui est au cœur de notre cinéma, concrètement, pendant 2-3 ans je ne pourrais plus investir, si j’ai un projecteur qui tombe en panne, je serais coincé… Il faut bien comprendre que cet argent sera utilisé pour combler les trous de trésorerie des 4 mois qui viennent. En 3 mois, on a déjà perdu 391 000 €, et là je vais récupérer 200 000 € qui est ma dernière manne financière simplement pour assurer des frais quotidiens. Je pourrai tenir 3-4 mois mais vraiment pas plus. Ce que je dis est terre-à-terre, je ne râle pas pour râler. On a toujours travaillé dans le danger, mais là, c’est la fin.
Qu’est-ce que cette situation raconte du cinéma en France aujourd’hui ?
Ça raconte un truc assez dingue, c’est que 80% du parc des salles français est dépendant du marché mondial (Américain et Chinois). Ça raconte qu’aujourd’hui, il y a la possibilité pour plein de films, s’ils ne veulent pas prendre le risque de sortir en salles – et vu les entrées, c’est compréhensible – de se faire racheter par Netflix, Amazon, OCS ou Disney+… Il y a une échappatoire pour les films. La case cinéma n’est plus un passage obligé. Petit à petit, grâce au Coronavirus, l’utilisation des plateformes a grandi. On peut presque dire aujourd’hui que la naissance d’un film se fait autant sur une plateforme qu’au cinéma. Le cinéma n’est plus l’image maîtresse, il n’est plus protégé. Ça veut dire que nous, on pourrait s’en sortir avec les films que nous aurons en septembre-octobre-novembre, mais comme les 80% autres ne vont pas pouvoir continuer à vivre s’il n’y a pas de sorties de films américains et de remise au chômage partiel, c’est tout le marché qui va s’arrêter…
Il faut que l’État abonde le CNC, qui n’a plus un rond. Bercy s’est toujours servi de l’argent du cinéma quand il y avait un trop-plein, là, on en a vraiment besoin. Il faut aider les salles et les distributeurs. Et quand je dis ça, je parle en tant qu’indépendant : on est sans filet. Il faut vite donner de l’argent au cinéma ! Il ne faut plus imaginer que le marché va redevenir normal au mois de septembre… sous réserve qu’il n’y ait pas de seconde vague.
Cette dépendance au marché américain et aux grosses structures peut être difficile à appréhender pour le commun des mortels…
L’empire Disney a été touché en plein cœur : il n’y a plus de parc d’attractions, plus de cinéma, plus de sport [le groupe possède plusieurs chaînes sportives dont ESPN, ndlr]. Au sein même de Disney quelque chose de très fragile s’est mis en place. Il y a presque un truc plus philosophique : après ce qui vient de se passer, les mentalités de tout le monde changent : vont-ils pouvoir continuer à sortir des films avec des super-héros dans ce contexte ? C’est quelque chose qui était au centre de l’avènement de Disney. Là-dessus, je pense qu’ils ont des soucis à se faire. Et quand Disney a du souci à se faire, c’est tout le cinéma qui tremble.
Votre rapport au cinéma a-t-il changé ?
Quand je suis rentré de vacances, je suis allé au cinéma, je me suis aperçu que ça me manquait vraiment. J’y suis allé une fois, j’ai eu envie d’y aller tout le temps. C’était trop bien. J’ai vu des histoires géniales qui m’ont fait passer d’un état à un autre… le cinéma, c’est tout de même un espace de libertés énorme ! Ma liberté, je la trouve au cinéma. C’est bien de se le redire : et je trouve que dans mon entourage, au sein des spectateurs qui viennent peu ou ne viennent plus, il faut se le dire. La beauté et la poésie dont on a besoin se trouvent à cet endroit-là.
Cinémas Star
Le Star Saint-Exupéry, 18, rue du 22 Novembre
Le Star, 27, rue du Jeu-des-enfants à Strasbourg
Propos recueillis par Cécile Becker