Lorsqu’André demande à sa fille de l’aider à mourir ce n’est pas réellement une demande.
C’est un ordre.
Pourtant jusqu’au bout, elle vient lui rendre visite à l’hôpital en se disant que peut-être la vie reprendra le dessus et qu’il changera d’avis.
Je me suis renseigné à ce sujet et j’ai appris quelque chose. Lorsque les gens entrent dans la démarche du suicide assisté, à partir du moment où une date est fixée, ils vont beaucoup mieux. C’est-à-dire que leurs symptômes s’amoindrissent. Psychologiquement, ils sont soulagés. Car ils savent qu’il ne vont pas être un poids pour leur famille et surtout ils savent qu’il y a une issue. Du coup, ils profitent du temps qui leur reste et il paraît qu’entre 70 et 80% des cas finissent par abandonner le projet. Dans le film, le médecin dit à Emmanuèle : « Au final, tout le monde se raccroche à la vie ». Et c’est la réalité, les gens s’accrochent à la vie, c’est notre instinct de survie, je pense qu’on est tous fait comme ça. Mais il y a des gens dans les 20% restant qui ont un caractère de fer, qui sont têtus et qui vont au bout. André est de cet ordre.
C’est vrai qu’on se pose la question, car effectivement André a l’air d’aller mieux, il va manger au restaurant, voit ses amis, son petit-fils.
Oui, il retrouve l’appétit, il mange comme c’est pas possible au restaurant. C’est ce contraste qui est intéressant.
Dans le film, on découvre une très belle scène durant laquelle Emmanuèle ne peut se résoudre à jeter un sandwich entamé par son père. Elle le conserve et on ressent de manière bouleversante ce besoin de préserver quelque chose de l’autre.
Cette scène vient du livre et je tenais vraiment à la garder. Ce que j’aime dans le récit d’Emmanuèle, c’est que c’est un livre d’action. Ce sont les comportements qui racontent les choses. Et l’acte de garder ce sandwich se passe de mots. C’est la force du cinéma, voir quelqu’un prendre un objet et le mettre dans un congélateur et comprendre tout ce que ce geste implique.
Avez-vous ajouté des éléments fictifs au scénario ou êtes-vous resté fidèle au récit d’Emmanuèle ?
Je suis resté très fidèle au livre. J’ai ajouté le personnage de la mère qui était totalement inexistant dans le livre, car en discutant avec Pascale Bernheim, j’ai appris que la mère était une grande sculptrice. Le fait de savoir qu’elle n’était pas la seule artiste avait son importance dans cette névrose familiale. Je trouvais intéressant de parler de cette femme brisée. On ne sait pas trop pourquoi mais elle avait perdu son premier enfant qui était un garçon, elle était dépressive et avait un mari qui avait une sexualité très ouverte, c’est le moins qu’on puisse dire. Donc je voulais que ce personnage existe, qu’il soit là. En plus je savais qu’Emmanuèle avait un rejet de l’œuvre de sa mère et je trouvais ça très paradoxal, car j’ai trouvé pour ma part les sculptures très belles. Emmanuèle a écrit un livre qui s’appelle Le cran d’arrêt or beaucoup des œuvres de Claude de Soria ressemblent à des lames de couteaux, il y avait un lien.
Pour revenir sur la sexualité d’André, pendant tout le film vous mentionnez le personnage de Gérard surnommé « grosse merde » par les deux sœurs, mais pendant très longtemps on se demande quel est son rapport vis à vis d’André.
Effectivement, j’ai voulu que le doute subsiste sur la nature de leur relation. Est-ce un bâtard, un cousin, un associé ? Puis on réalise que Gérard est l’amant d’André. Dans le livre, les mots étaient assez violents vis à vis de ce personnage, on sent que les deux sœurs le détestent vraiment. Dans le film, j’ai adouci parce que je me suis dit que c’était peut-être une vraie histoire d’amour. Ou bien était-ce un homme qui profitait de l’argent parce que cette famille est quand même très riche ? Ça raconte aussi le rapport des deux sœurs, l’héritage, ce qu’il reste quand quelqu’un disparaît.
Propos recueillis le 25 août dans le cadre de l’avant-première de Tout s’est bien passé, à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg.
Tout s’est bien passé, de François Ozon, sortie le 22 septembre 2021.
Par Emma Schneider