Cela faisait longtemps que tu travaillais sur ce livre ?
L’idée est venue durant ma précédente grossesse, début 2017. En six mois, j’ai écrit frénétiquement tout ce que j’avais en tête – je rêve de retrouver cette sensation. Avec le recul, je sais que je ne l’aurais jamais écrit comme ça si j’avais su qu’il allait être lu. C’était presque de la purge… C’est toute l’ambivalence des premiers romans, la spontanéité, l’urgence. Ton double littéraire qui végète des phrases, mélange des sujets… Très récemment, j’ai encore compris des choses de mon roman dont je n’avais pas pleinement conscience, sur la maternité, les relations mère-fille, le transfert que l’on fait d’une personne à l’autre. C’est un livre complètement psychanalytique, qui part de la réalité pour s’envoler dans la fiction. “Les rêves des femmes enceintes peuvent changer le monde”, c’est une copine qui me l’a sorti. À l’époque, je n’arrêtais pas de rêver à mon amie disparue. Je me suis dit que je tenais ma première phrase…
Ta manière d’écrire touche à l’intime. Comment réussir à se détacher de l’impact sur la réalité ?
Alors ça… J’étais partie du postulat que la liberté de l’écrivain apportait quelque chose d’universel. Encore une fois, parce que je n’avais pas la prétention d’être publiée un jour. Aujourd’hui, cela me demande une grande dose détachement. On me dit : “Mais tu as pensé à Machine, la grande tante de ta cousine au second degré qui a un robot mixeur, quand tu parles de ça dans ton livre ?” Non non, je n’ai pas pensé à elle, le robot mixeur c’était juste un symbole contemporain pour raconter une caste. C’est hyper triste ce que je vais dire, mais j’écris pour combattre une sensation de vide. Pour moi, la vie ne sert à rien, sauf à écrire. À présent, il faut que je me focalise sur l’oeuvre globale et faire le deuil de l’envie de faire plaisir à mes proches.
Écrire pour t’émanciper ?
Oui. Rétablir par la littérature ma vision de la vie. J’ai toujours suivi les règles, fait ce que l’on attendait de moi, les études de médecine, le diplôme de dentiste. Mais je rêvais d’écrire. Les sous-entendus : “Aaaaah Agathe, notre écrivain, notre artiste”, je ne l’assumais pas. Maintenant si.
Tu mets quoi sur ta carte de visite, « auteure » ?
Oh non, non, je ne me sens pas auteure au bout d’un roman… J’ai eu le cas récemment pour une inscription à la crèche. À côté de « profession », j’ai mis « écrivain » – il fallait bien écrire quelque chose pour avoir des points. En temps normal, je dis un truc à rallonge du genre : “J’étais dentiste, je me reconvertis dans la littérature, je chronique des livres.” Ça ne tiendra jamais sur la carte, ça.
– Sous le soleil de mes cheveux blonds, Agathe Ruga, éd. Stock
Par Aurélie Vautrin
Photo Arno Paul