La Neustadt, ville-synthèse
« Ce qui est intéressant, c’est que la Neustadt a été organisée à la suite d’une consultation de plusieurs architectes à partir d’un plan défini par le Reichstag allemand. On fait appel à deux architectes : celui de la ville de Strasbourg, Jean Geoffroy Conrath, et l’urbaniste allemand August Orth. Conrath était le gardien du temple, il défendait les intérêts de la ville de Strasbourg, sa cathédrale et sa vieille ville, son passé français. C’était un peu le conservateur. Orth était une sorte de Haussmann allemand et s’intéressait aux théories nouvelles, notamment allemandes et autrichiennes. À cette époque-là, la plupart des grandes villes d’Europe, Paris mais aussi Vienne et Berlin, ont été agrandies à cause de la révolution industrielle. 1850 est vraiment la date où on rentre dans la modernité : on construit la gare, le canal de la Marne au Rhin, c’est l’arrivée des machines à vapeur et bientôt électriques. C’est un basculement complet. Les Allemands vont industrialiser l’Alsace, et faire de Strasbourg la capitale du Reichsland. La Neustadt a fait synthèse entre ces deux points de vue. Paris n’a pas eu de synthèse. Haussmann n’a demandé l’avis de personne, il a refait le nouveau Paris sur l’ancien en détruisant partout où il intervenait.
Ce processus a duré assez longtemps car, entre 1870 et 1880, il y a eu beaucoup de discussions et plusieurs plans qui essayaient de trouver l’équilibre. C’était vraiment unique, et je suis très attaché à ça car je pense qu’il est possible de garder la qualité de ce qui existe, pas forcément physiquement d’ailleurs, et d’intégrer des bâtiments contemporains.
À l’époque, les extensions des autres villes se faisaient de façon concentrique. À Vienne par exemple, on a construit le Ring autour du centre. À Strasbourg, on fait quelque chose d’original, on fait une nouvelle ville à côté, au nord de la ville ancienne, à l’est et à l’ouest. On a gardé la façade ancienne intacte au sud. La raison, c’était que cela permettait, quand on arrive des autres villes du Reichsland, Colmar par exemple, de voir la vieille ville, et la cathédrale, de loin. Ça a des conséquences gigantesques aujourd’hui, car les fronts de Neudorf n’étaient pas dans le plan d’extension de Strasbourg. Aujourd’hui, on en est bien content.
Le génie de ce projet ne réside pas tellement dans le plan, qui ressemble à pas mal de villes de l’époque, mais dans cette articulation avec la ville ancienne. Si vous vous promenez sur les quais du côté du lycée des Pontonniers, vous ne vous rendez pas compte que vous avez deux villes d’époques différentes de part et d’autre. Il y a là une zone de transition qui permet de passer d’un côté à l’autre sans s’en rendre compte. Par exemple, l’extension de l’opéra à l’arrière, la rotonde, a été faite uniquement pour que l’ancien bâtiment soit à l’échelle de la nouvelle ville. C’est une couture précise, comme quand un chirurgien suture les tissus, sans toucher aux points névralgiques. »