Geoffroy, qui se souvient encore du jour où il l’a ramené de Metz, sert « déjà les fesses » à l’idée de déménager une nouvelle fois la bête d’une tonne qui prendra place, comme tous ses autres outils, dans son atelier flambant neuf à La Coop. En attendant, il trie : « En 12 ans d’activité, c’est la première fois que je prends la mesure de tout ce que j’ai amassé… » Parce que si le feu reste le premier outil qui permet de modeler la matière, « quand on est forgeron, on devient taré avec les marteaux », précise-t-il. Et en effet, ils sont nombreux. Notre favori est « l’outil des amis », un marteau de devant, qui requiert la présence d’un·e second·e larron·e pour « chercher la précision » : l’un·e frappe, l’autre dirige. Parce que la forge est un métier solitaire, ces moments où Geoffroy a besoin d’un coup de main sont précieux. Le reste du temps, il contemple une ancienne plaque de cheminée : deux forgerons à l’œuvre, « maintenant, c’est mes potes ! »
Solitaire certes, mais surtout rude : maîtriser la flamme et la chaleur et frapper le métal demande une concentration conséquente. « Ce n’est pas tant la force qui compte, c’est le mouvement. Il ne s’agit pas d’éclater la matière mais de la modeler. Ce qui est important, c’est d’utiliser toute la masse du marteau et de profiter de la chute naturelle, de la gravité. On ne plaque jamais les coups. »
« Le premier truc, c’est d’apprendre à regarder le fer sans être ébloui par le feu. »
Pourtant, les bruits typiques de la forge évoquent plus un combat qu’une chorégraphie. Mais c’est ailleurs qu’il faut chercher la lutte, en l’occurrence avec les flammes. « Le premier truc, c’est d’apprendre à regarder le fer sans être ébloui par le feu. Pour cela, on fixe son regard à côté du brasier. Ce qui va nous donner une idée de la température, c’est la couleur de la matière. Pour un surfaçage, il faudra atteindre 1000°C. Si le fer est grumeleux, c’est qu’il a pris feu et qu’il est trop chaud. » Et autant dire que ça se joue à quelques secondes – plus tendu qu’une série Netflix. Une fois la température idéale atteinte, la magie opère : le métal se laisse apprivoiser, sort du feu et vient prendre place sur l’enclume. « Finalement, on déplace la matière comme de la pâte à modeler », précise le masseur de métal, tout en nous expliquant le dessin de l’enclume : une zone plate pour allonger la matière, des zones bombées aux extrémités pour courber. Ses gestes sont assurés, ses mouvements précis. Douze ans de métier, ça ne trompe pas.
« J’étais éducateur dans l’environnement entre Strasbourg et Mulhouse. J’ai rencontré un forgeron taillandier en Corrèze avec qui j’ai passé un peu de temps : il fabriquait des lances et des glaives. Cette rencontre m’a marqué. » Après une période de chômage, il décide de « faire quelque chose de ses mains ». Deux jours devant une enclume pour titiller la passion, puis il part pour une formation de deux ans à Bruxelles, revient en Alsace faire le tour des forgerons et ferronniers. Ces rencontres lui permettront de décrocher des premiers contrats en sous-traitance, puis ses premières commandes. Il a notamment travaillé pour les restaurants Dim Sum Sam, L’Acerola ou, plus récemment, le Kaijoo Hôtel, réalisé des portails, garde-corps ou rambardes pour des particuliers.
Ses seuls regrets ? Ne pas avoir suffisamment de temps pour se consacrer à des productions plus personnelles (ça devrait revenir une fois installé dans son nouvel atelier) et mettre à jour son site Internet qu’il délaisse depuis deux ans ! À part ça, tout va, à peu près. Malgré un cambriolage pour plus de 10 000 € de matériel et des faibles revenus (à peine un SMIC), Geoffroy Weibel s’en sort : « Je ne dirais pas que j’en vis bien, mais j’en vis, c’est déjà pas mal. » Le feu sacré.
Geoffroy Weibel, forgeron, ferronnerie et métallerie contemporaine
La Coop, à Strasbourg
Par Cécile Becker
Photos Pascal Bastien