La vie de château
à Saverne

Visite princière du château des Rohan où cohabitent d’innombrables oeuvres d’art toutes périodes confondues et 500 places en gradin dans une magnifique salle de spectacle qui souffle ses trente bougies. Suivez la direction indiquée par l’unicorne.

« Indomptable, puissante et bondissante, présente sur le sceau secret militaire de la Ville dès le XIVe siècle, la licorne est l’emblème de la cité », informe Emmanuelle Thomann, directrice du musée, au pied de l’animal posté sur la fontaine, à proximité du château des Rohan. « Seule une jeune femme vierge peut s’en approcher », prévient-elle. C’est minimiser notre vaillance ! Sculptée par André Friederich en 1837, elle est remplacée en 1970 par une copie de Claude Metzmeyer. Mais l’originale réside dans les collections muséales de la ville. Sans questionner notre chasteté, nous osons l’observation de la bête qui ne ressemble en rien à ses copines rose fluo/arc-en-ciel en peluche vues à l’office de tourisme. La légendaire créature, « intercesseuse entre le divin et l’humain », face à nous n’est en rien kawaii, elle est… virile, cornue, bien sûr, mais bien membrée.

De la préhistoire à Louise Weiss

La sculpture de cet être magique se trouve au musée qui a vu le jour en 1858, « grâce à la détermination d’érudits locaux » désirant conserver et exposer « des objets témoignant de la grandeur et de l’ancienneté de Saverne ». La licorne reste aux aguets, dans les caves voûtées du sous-sol, en la section archéologique, parmi les stèles funéraires et votives gallo-romaines. Nous saluons respectueusement les autoritaires Hercule et Mercure avant de monter vers la section Art et Histoire, riche de pièces cultuelles issues des synagogues de Saverne, dont un magnifique « pahohet », rideau d’armoire sainte. Une salle est dédiée au patrimoine religieux et aux châteaux forts du territoire, tandis qu’une seconde permet de se plonger dans les épisodes historiques vécus par le château. D’abord résidence des évêques jusqu’en 1789, il devient dépendance de l’Institution de la Légion d’honneur sous Napoléon III ou hébergement pour les veuves de militaires.

Emmanuelle Thomann, directrice des musées et du patrimoine historique de Saverne. © Paulo Viana
Emmanuelle Thomann, directrice des musées et du patrimoine historique de Saverne. © Paulo Viana

Une femme nouvelle

En 1996, la section Louise Weiss (1893-1983) est inaugurée, rendant hommage à la carrière de cette journaliste qui a fait de Saverne sa légataire en 1983, sous le mandat d’Adrien Zeller. Sa vie, ses faits d’arme, ses passions… sont ici contés. « La Française doit voter ! » affirmera-t-elle, pancarte brandie à bout de bras, après avoir fondé l’association La Femme nouvelle en 1934. Féministe hyper engagée, c’est également une Européenne convaincue qui met sa plume au service de titres de presse comme L’Europe nouvelle dont elle assure la rédaction en chef (1920-1934). Très tôt, elle s’émancipe d’un modèle plutôt conservateur, le trio famille/foyer/fourneaux. « Louise Weiss n’était pas du genre à parler cuisine, broderie et poudre de riz », s’amuse la directrice du musée. À l’époque, il en fallait, du cran, pour faire face aux remarques sénatoriales du type : « Si on donne le droit de vote aux femmes, qui s’occupera de repriser nos chaussettes ? »

Table de la salle à manger en bois de Zingana de Louise Weiss (1928). Sur les 12 chaises gondoles, il y a eu Paul Valéry, Édouard Herriot, Raoul Dufy... © DR
Table de la salle à manger en bois de Zingana de Louise Weiss (1928). Sur les 12 chaises gondoles, il y a eu Paul Valéry, Édouard Herriot, Raoul Dufy... © DR

Des betteraves et des hommes

Cette femme était portée par bien des convictions, notamment celle de l’union des pays d’Europe. « Elle défendait l’idée de la réconciliation franco-allemande, pas celle de la revanche que certains alimentaient alors. » Grande humaniste, la future députée voyage partout sur le continent, mais aussi en Asie, en Afrique ou au Proche-Orient. Elle y tisse des liens et y tourne des images filmées, dans une démarche résolument avant-gardiste. Des archives mondiales, à découvrir au château. Au fil des espaces muséaux traversés, on découvre aussi une Louise Weiss « qui tient salon », mondaine proche d’intellectuels, diplomates et artistes dans le vent (comme les peintres de l’École de Paris…), une collectionneuse d’oeuvres d’art dont cette charmante rousse au collier vert de 1928, signée Kees van Dongen.

Avant de quitter la jolie « Joconde de Saverne », le musée et Emmanuelle Thomann, sa directrice, nous lisons ces quelques lignes qui ont participé à inscrire Louise Weiss dans les annales. De passer à postérité, lorsqu’en 1979, au Parlement, elle déclare : « Les institutions communautaires ont fait des betteraves, du beurre, des fromages, des vins, des veaux, voire des cochons européens ; elles n’ont pas fait d’hommes européens. Sauvegardons le bien le plus précieux à savoir notre culture et notre fraternité en cette culture. »

Un espace culturel princier

On change d’aile du château pour nous rendre dans le bureau de Denis Woelffel qui a une double casquette de directeur, à la fois chargé de la programmation de l’Espace Rohan et des Affaires culturelles de la Ville. C’est dire la confiance que lui porte Stéphane Leyenberger, maire de Saverne, qui mise sur « l’innovation, l’invention » et la culture pour faire rayonner la cité. Une nouvelle fois, Denis Woelffel fait référence à Louise Weiss : sur la place, une statue la représentant est entourée de bancs où sont gravés des citations qui donnent les trois axes de la politique culturelle de la Ville : l’Europe, la paix et le féminisme. « La soumission aux idées, oui, la soumission aux êtres, non. » « La tâche des hommes futurs, la tienne, sera de dénouer pacifiquement les conflits. » « Maintenant tout le monde se connaît et chacun sait qu’il doit vivre avec l’autre. »

Denis Woelffel, chargé de la programmation de l'Espace Rohan et des Affaires culturelles de la ville. © Paulo Viana
Denis Woelffel, chargé de la programmation de l’Espace Rohan et des Affaires culturelles de la ville. © Paulo Viana

S’emparer de ses propres récits

Ainsi, la bouillonnante vie culturelle et le secteur associatif de la cité ont ces trois balises dans le viseur. Les valeurs portées par Louise Weiss irriguent les musées, la salle de spectacle, les festivals, le cinéma labellisé « art et essai », la bibliothèque, l’école de musique Crescendo et ses 650 élèves… Les 12 000 habitants (d’un territoire comptant 100 000 personnes) sont invités « à s’emparer de leurs propres récits », selon Denis Woelffel qui se réjouit du dynamisme d’une ville qui compte trois librairies et trois lycées.

La salle de l'Espace Rohan, dans l'aile gauche du Château des Rohan qui fête ses 30 ans d'existence.
La salle de l’Espace Rohan, dans l’aile gauche du Château des Rohan qui fête ses 30 ans d’existence.

 

Les moments phares de Saverne sont les festivals Les Alpagas bleus qui fête sa troisième édition et l’historique Mon mouton est un lion qui souffle cette année sa 25e bougie. Autre anniversaire, et pas des moindres, celui de l’Espace Rohan et ses trente ans d’existence ! Face à l’exigence de tous ces défis, Denis a dû mettre entre parenthèses ses activités au sein de sa compagnie, Sémaphore, mais son expérience lui permet de « parler la même langue » que les personnes qui jalonnent la saison culturelle, comme les artistes en résidence, Laurent Crovella et ses Méridiens qui proposent de nombreux ateliers de théâtre, ou Ezio Schiavulli de la compagnie Ez3 qui mène des projets chorégraphiques auprès d’établissements scolaires des environs. La particularité d’Ez3 ? La technique pédagogique du Physical Movement « qui exploite toutes les possibilités de mouvements au sol sans aucune force physique ». Une philosophie que partagent sans aucun doute nos amies licornes.


L’espace Rohan et le musée du château des Rohan, place du Général-de-Gaulle
Saverne.fr


Par Emmanuel Dosda