Un pour tous et tous pour un

179 ans après la parution du roman d’Alexandre Dumas, Martin Bourboulon offre sous forme de diptyque une adaptation de l’œuvre épique des Trois Mousquetaires, axant en premier temps le scénario sur d’Artagnan puis sur Milady. Une fresque spectaculaire et romanesque réunissant les pointures du cinéma français dans des décors grandioses du XVIIe siècle : Vincent Cassel dans le rôle d’Athos, Romain Duris dans celui d’Aramis, Pio Marmaï en Porthos et François Civil en d’Artagnan, tandis que Lyna Khoudri, Eva Green et Vicky Krieps féminisent l’épopée historique. Du Louvre au Palais de Buckingham, des bas-fonds de Paris au siège de La Rochelle, dans un Royaume divisé par les guerres de religion et menacé d’invasion par l’Angleterre, une poignée d’hommes et de femmes vont croiser leurs épées et lier leur destin à celui de la France. Sur fond de trajectoires individuelles et d’Histoire avec un grand H. Rencontre avec le réalisateur Martin Bourboulon et les acteurs François Civil et Lyna Khoudri. 

Trois Mousquetaires - Pio Marmaï
On retrouve Pio Marmaï, dans le rôle de Porthos, au générique de l'adaptation du film réalisé par Martin Bourboulon. © Florent Bandesapt

Quel était votre rapport aux Trois Mousquetaires avant de prendre part à ce film ?
Lyna Khoudri : J’avais lu l’œuvre de Dumas au lycée, je crois qu’il y a une mémoire commune de ce roman, une histoire qui nous appartient à tous.
Martin Bourboulon : Il y a effectivement un rapport familier à cette œuvre française étudiée à l’école. Pour ce projet, je me suis dégagé du passé de l’histoire des Trois Mousquetaires, en choisissant de ne pas revoir les différentes adaptations. J’ai entretenu à la fois un rapport de proximité et la volonté d’une mise à distance.
François Civil : J’avais plutôt un rapport aux adaptations qu‘à l’œuvre en elle-même. Je garde un vague souvenir de lecture, mais je me rappelle surtout du dessin animé D’Artagnan et les Trois Mousquetaires et du film La fille de d’Artagnan qui a d’ailleurs été produit par le papa de Martin Bourboulon. Philippe Noiret y jouait le père de Sophie Marceau.  

Comment peut-on expliquer que 179 ans après la parution du roman de Dumas et une quarantaine d’adaptations cinématographiques, les Trois Mousquetaires continuent d’inspirer le 7e art et le public ?
Martin Bourboulon : C’est compliqué d’inventer de bonnes histoires. Quand elles existent déjà dans le patrimoine, et le théâtre le fait d’ailleurs très bien, on capitalise sur le répertoire en réaffirmant à chaque fois de nouvelles adaptations avec de nouveaux metteurs en scène, de nouvelles propositions. La base de l’histoire des Trois Mousquetaires est magnifique et a un aspect intemporel par sa relation aux personnages et les thématiques qu’elle aborde et qui sont malheureusement toujours d’actualité, à l’image des conflits de religion. Au-delà de la camaraderie entre les garçons, il y a également une dimension romanesque à laquelle je tenais. J’avais des points cardinaux entre mi-western, mi-thriller, mi-romanesque qui m’excitaient énormément. Quand on cherche des projets de cette envergure, de grands films pour le public avec des castings généreux, ce n’est pas évident de les imaginer seul dans un bureau avec son scénariste. Le fait de se plonger dans le patrimoine et de porter un nouveau regard sur cette histoire était une aventure très excitante. Puis ça faisait quand même 60 ans, qu’on n’avait pas fait d’œuvre des Trois Mousquetaires en France. Quand on voit l’affiche, rien des costumes ou du style ne fait penser aux adaptations précédentes. Les scénaristes ont réussi à garder l’ADN du projet en adaptant des choses sur lesquelles j’ai rebondi, faisant de ce film un projet un peu hybride entre ce qu’est l’œuvre initiale et ce qu’on en a fait ensemble. 

Le film reste relativement fidèle au roman de Dumas, vous vous permettez cependant quelques libertés en ce qui concerne le personnage de d’Artagnan qui n’a que 18 ans dans le livre. Pourquoi ce choix ?
François Civil : L’espérance de vie n’était pas la même en 1625, je crois qu’Athos a 30 ans dans le roman et il est décrit comme quelqu’un qui a vécu dix vies, a fait des guerres et est marqué par le temps. J’ai trente ans et je n’ai pas l’impression d’avoir la gueule d’Athos. On a adapté les choses par rapport à notre patrimoine génétique actuel. Mais sur la fidélité du roman, nos auteurs ont fait un travail très intéressant de profondeur en décortiquant cette histoire très dense, très complexe, qui a été écrite initialement comme un feuilleton publié dans le journal Le Siècle, de mars à juillet 1844. Dumas est le premier à avoir fait des cliffhanger, c’est-à-dire à avoir créé des situations de suspens à la fin de ses publications afin de tenir le lecteur en haleine et de le pousser à acheter le numéro suivant. Réimaginer tout cela sur deux films est une grammaire très intéressante et propice à l’adaptation. C’est pour ça qu’on ne s’en lasse pas.

Vous jouez tous les deux des personnages qui ont été incarnés à de nombreuses reprises au cinéma ou au théâtre, est-on tenté lorsqu’on obtient ce genre de rôle de s’en inspirer ?
Lyna Khoudri : J’ai été tentée de le faire. Mais j’ai préféré ne rien regarder et y aller avec toute ma sincérité. J’ai eu envie de prendre ce rôle avec simplicité, sans me poser trop de questions, en le construisant autrement et en y amenant quelque chose de nouveau.
Martin Bourboulon : J’ai tenu à ne jamais leur parler des précédentes versions. J’avais une idée en tête mais j’ai aimé leur capacité à proposer des choses sur les premières prises. À partir de là, on a construit ensemble. Je pars du principe qu’il y a un scénario et des acteurs dont c’est le métier, je voulais qu’ils conservent leur schéma de travail. On a d’ailleurs très peu évoqué le fait que mon père ait produit La fille de D’Artagnan lorsque j’étais enfant, un film qui m’a forcément donné envie de plein de choses. Certains ne savaient même pas que j’avais été lié à l’histoire des Trois Mousquetaires par ce biais personnel.
François Civil : On avait envie de raconter notre propre histoire. Par moment, on regarde des films pour s’inspirer comme le dit Lyna, mais en tant qu’acteurs on veut surtout rendre compte de la vie. Pour moi, la matière première ce n’est souvent pas le film, mais plutôt d’essayer de comprendre ce que ça veut dire que d’être un jeune homme de 18,20 ou 30 ans, quelle est l’époque, quel est le contexte, qu’est-ce qui m’émeut moi en termes de mouvement et d’émotions ? Pourquoi d’Artagnan monte-t-il à Paris ? Répondre à ces questions motivent la direction qu’on prend avec un personnage. Sur le papier, tous les personnages des Trois Mousquetaires sont assez distincts, ils le sont déjà dans l’œuvre, on comprend leur fonction dans le récit. Si je m’embarrasse des acteurs qui ont tenu le rôle de d’Artagnan avant : Belmondo, Noiret, Fairbanks, Gene Kelly, j’ai perdu d’avance. Il faut se décomplexer et se dire que de toute façon ce sera mon d’Artagnan et pas le leur. Si c’est moins bien tant pis mais en tous cas ce sera moi.

Trois mousquetaires - François Civil
François Civil a hérité du rôle de D'Artagnan. © Florent Bandesapt

Comment prépare-t-on un rôle de cette ampleur ?
François Civil : Marco Luraschi, le fils de Mario Luraschi, une figure des cascades équestres au cinéma, est devenu ma doublure et mon professeur. Malgré le fait qu’on ait des doublures pour les scènes très physiques ou même dangereuses, Martin souhaitait que l’on fasse beaucoup de cascades nous-mêmes et son dispositif de mise en scène ne nous laissait pas le choix. Je pense notamment, aux plans séquences, où la caméra passe d’un personnage à l’autre et filme à 360 degrés, nous obligeant à apprendre une chorégraphie très précise. Ce sont de beaux moments de collectif où le cinéma est à son paroxysme. Que ce soit les comédiens qui ont travaillé en préparation, l’équipe technique qui doit courir derrière une caméra, les artificiers, la mise en scène, tout est chronométré.
Martin Bourboulon : J’ai opté pour le plan séquence notamment lors de la première scène de combat parce que ça m’intéressait de raconter comment un jeune homme qui veut rentrer dans un concours de mousquetaires va se comporter devant trois hommes à qui il veut ressembler. Je ne voulais pas qu’on voit les scènes mais qu’on les vive, le plan séquence permet cette immersion.

Une anecdote de tournage particulièrement marquante ?
François Civil : Le plaisir qu’on a eu, après des mois de cascades et de choses très physiques et techniques, d’attaquer pendant une semaine les scènes plus intimistes avec Lyna dans le décor de la maison Bonacieux. Et le plaisir de voir Martin très heureux de retrouver de la pure direction d’acteurs.

Alexandre Dumas a publié une trilogie romanesque dite des mousquetaires. Peut-on s’attendre à une troisième partie ?
La première partie sort le 5 avril, la seconde le 13 décembre, je ne vous en dis pas plus pour la suite. On verra, inchallah ! 


Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon, sortie en salles le 5 avril.
Propos recueillis le 10 mars lors de l’avant-première au cinéma UGC Ciné Cité de Strasbourg. 


Par Emma Schneider
Photos Florent Bandesapt