Des mots qui cheminent
Tous ses albums partent du texte, véritable colonne vertébrale de son travail. « L’adaptation est un exercice que j’aime beaucoup. Je construis systématiquement le récit en commençant par les dialogues, le point d’ancrage de toute mise en scène. Dans un second temps, il faut réduire la voilure. Le livre de Douglas Kennedy est un pavé de 700 pages alors que ma BD n’en fait plus que 142 ! » Selon l’auteur, l’important est de savoir créer « une ambiance, comme Orson Welles », tout en délicatesse et en couleurs qu’il se permet parfois de faire déborder des traits de contours, pour insuffler de la vie dans ses planches. « Mon style n’est pas “graphique”. Je teste des choses, mais sans expérimenter à outrance, je creuse mon sillon. C’est une démarche au long cours. Un chemin qui mènera je ne sais où… »
Cyril Bonin n’a pas d’atelier. Il travaille n’importe où. Tout le temps. Aujourd’hui, il est attablé au milieu de sa cuisine, parmi casseroles et appareils électroménagers, planchant sur un scénario original à tendance SF. « Tout est écrit et j’ai fait les cinq premières pages. » L’éditeur – Sarbacane – est déjà désigné. Reste qu’à poursuivre sur cette même lancée, ce rythme de croisière régulier qu’il s’impose. Petit à petit, il trace sa route.
La poursuite du bonheur (éditions Philéas)
lisez.com/phileas
La condition féminine par Cyril Bonin
« Le premier volume d’Amorostasia date de 2013, soit sept ans avant la propagation du Covid. Il y avait déjà une épidémie très contagieuse, un couvre-feu, des lieux interdits, etc. Pas de masques, mais des brassards obligatoires… pour les femmes. Mes références étaient La Peste de Camus ou Rhinocéros d’Ionesco où les gens sont atteints de rhinocérite. Mes albums ont souvent pour protagonistes des personnages féminins. Des femmes qui se trouvent en butte avec la société ou avec le regard des hommes et qui s’y opposent de manière explicite comme dans Amorostasia ou de manière discrète dans Les Dames de Kimoto… Des femmes qui finissent par prendre leur destin en main… C’est littéralement le cas dans Stella (spoiler alert) puisque l’héroïne est un personnage de fiction sorti d’un roman qui rencontre son auteur et finit par devenir l’autrice de sa propre histoire. Cet angle “féminin” (plutôt que féministe) répond surtout à l’envie d’aborder mes récits avec une certaine sensibilité et de mettre en exergue les codes et les limites des genres dans les relations humaines. Il me semble que le féminin et le masculin correspondent sans doute à des différences de ressentis, mais aussi à des étiquettes. Des mots qui peuvent être réducteurs et stigmatisants et ont trop souvent été utilisés pour assigner les individus à une place et assurer une domination masculine. »
Amorostasia (3 tomes, Futurpolis)
58, route de Bitche
Les Dames de Kimoto (adaptation de l’autrice Sawako Ariyoshi, Sarbacane)
editions-sarbacane.com
Stella (Vents d’Ouest)
www.glenat.com
Par Emmanuel Dosda
Illustration autoportrait de Cyril Bonin pour Zut