Exposition : Muette, la carpe ?
En 1878, Émile Gallé produit son chef-d’oeuvre "Le Vase à la Carpe", devenu emblématique des collections du Musée du verre de Meisenthal et la pièce maîtresse de l’exposition "Muette, la carpe ?" jusqu'au 30 décembre.
Une mère indigne, un grand gamin peterpanesque et un chien rose bonbon mènent l’enquête. Avec le duo Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, direction Copenhague pour trouver le tueur de sirène et libérer notre âme d’enfant.
« Un amour impossible / Copenhague / Comme les temps immobiles / Copenhague / Il y eut tant de miracles / Copenhague. »
L’air de rien, les paroles de la chanson doucement mélancolique de Philippe Katerine semblent résumer le roman graphique du tandem Pandolfo/Risbjerg se déroulant dans la ville natale de Terkel, à la fois toile de fond et personnage à part entière de ce conte absurde, entre polar surréaliste et comédie romantique déjantée. Ode au fabuleux.
La Parisienne Nana Miller s’envole pour la capitale danoise, laissant son adolescente de fille livrée à elle-même. L’actualité bouleverse ses plans : une sirène est retrouvée morte. Quelle odieuse personne a pu commettre pareil crime ? Qui s’est ainsi attaqué à un symbole national ? Andersen se retourne dans sa tombe tandis que le Danemark se confine totalement, dans la terreur et la tristesse.
Accompagnée du sympathique phénomène Thyge Thygesen et de son copain canidé flashy, nommé Nom d’un chien (attention, risques de chutes de quiproquos), Nana part à la recherche de l’assassin pour débloquer la situation et enfin pouvoir rentrer à Paris. Pour retourner auprès de sa fille… puis par goût de l’aventure. Pour l’amour du risque, voire le risque de l’amour. Nana l’intrépide et l’hurluberluesque Thyge (prononcé Thüü) investiguent dans une métropole déserte, en deuil, sous le choc. Thyge est un être sensible et brut, un éternel gosse qui anime une émission radio pour jeunes auditeurs faisant preuve d’éclats philosophiques dépassant le monde trop adulte. Un type enthousiaste, gai, léger qui se permet un comportement irraisonnable, innocent, craignant « la perte de l’imaginaire ». Dans la bande dessinée, ces propos sont prononcés par rapport à la mort de la sirène : « Quelque chose de précieux a été perdu. On a touché à notre poésie. »
Enferme-moi si tu peux
Le duo Pandolfo/Risbjerg a sorti L’astragale (Sarbacane), adaptation du roman d’Albertine Sarrazin, le poétiquement romanesque roi des scarabées (Sarbacane) ou encore Enferme-moi si tu peux (Casterman), série de portraits d’outsiders : le facteur Cheval, Augustin Lesage ou Aloïse. « Les artistes bruts n’ont pas de formation : ils font de l’expression pure qui les aide à survivre. » Anne-Caroline et Terkel, d’une même voix, vouent un culte à ces créateurs cloîtrés dans leur folie mais qui « cherchent à tout prix à donner un sens à leur vie », aussi pénible soit-elle. Thyge et sa loufoquerie sans filtre nous rappelle ces artistes qui, comme lui, refusent l’enfermement. Au contraire, il détonne par rapport à la population « raisonnable » qui reste chez elle et boude les rues. Nana est séduite par cette innocence qu’elle souhaite retrouver et se lie d’amitié avec son complice… voire plus car affinités entre ces deux personnes à la fois si lointaines et si proches.
« Le Danemark est un petit pays qui peut facilement se renfermer sur lui, ici par effroi face à la tragédie, le drame de la mort soudaine de la sirène et plus généralement par crainte de la perte du rêve et l’imaginaire. » Anne-Caroline décrit une nation pétrifiée par l’événement, vidée de ses habitants et activités. Cette aventure bizarre où les animaux sont héroïques (« les caniches ne se trompent jamais »), les petits vieux intrépides, les insectes émotifs et les enfants hyper-pertinents est née d’un dynamique storyboard de 300 pages. Les cases s’enchainent au rythme de la course-poursuite, mais de magnifiques planches contemplatives pleines de détails « pétillants » offrent des respirations dans tout ce mouvement infernal. Le climax : la filature d’un « gros méchant » qui vire au comique dans un parc d’attraction inspiré par le Tivoli, en plein centre-ville : Thyge et Nana s’amusent sur la grande roue et autres manèges, oubliant presque leur but.
Pour ce dixième album réalisé en commun, Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg ont encore une fois inventé « un nouveau langage » scénaristique et graphique. Ils ont suivi leur ligne de conduite, mais se sont octroyé la liberté de se laisser guider par les « personnages qui nous ont menés vers des imprévus. Nous contrôlons la narration mais l’intrigue n’est pas figée. Nous aimons être surpris par les choses qui surviennent d’elles-mêmes. » Enferme la fantasmagorie si tu peux !
Copenhague (Dargaud) d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg
dargaud.com
Par Emmanuel Dosda
Illustration par Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg pour Zut