Exposition : Muette, la carpe ?
En 1878, Émile Gallé produit son chef-d’oeuvre "Le Vase à la Carpe", devenu emblématique des collections du Musée du verre de Meisenthal et la pièce maîtresse de l’exposition "Muette, la carpe ?" jusqu'au 30 décembre.
Exigeantes et marrantes, les éditions strasbourgeoises 2024 ne vont pas s’autodétruire en ce début d’année. Surfant allègrement depuis 2010 entre philosophie, potacherie, poésie, dystopie et folie, la maison au large catalogue regroupe Anne-Margot Ramstein, Anouk Ricard, Blutch, Simon Roussin, Matthias Picard, Guillaume Chauchat, Tom Gauld ou même Gustave Doré. Entretien avec Simon Liberman et Olivier Bron, mi-gourous (un sens inédit de l’arbitrage antidémocratique), mi-Picsou (ils ont élaboré un modèle économique costaud pour des indépendants) qui nous prédisent un 2024 inventif, illustratif et exp(l)osif.
Pensez-vous que, dans le futur, certains nostalgiques feront des « Pandemic Parties » en souvenirs des soirées Covid clandestines, comme le prédit Xavier Bouyssou dans Le Livre oracle ?
Simon : Sans doute, oui ! L’ensemble de son livre est sur le fil. Nous sommes dans la BD d’anticipation réaliste, la science-fiction idiocratique !
Olivier : Mieux, dans la méta-dystopie : Xavier a imaginé Eva Green interprétant Milady… avant la sortie du film !
Avec les ouvrages édités par 2024, livres illustrés ou bandes dessinées, le lecteur a l’impression de « voyager à travers les sphères » décrites par Anouk Ricard et Étienne Chaize dans Boule de feu…
D’où vient ce goût pour les trips en absurdie ?
Olivier : Au début, nous souhaitions nous ancrer dans la SF : nous nous sommes rencontrés autour d’auteurs qui nous projetaient dans des mondes merveilleux.
Simon : Nous revendiquions l’édition d’une BD de fiction, peu attachée au réel. Je pense à Lemon Jefferson et la grande aventure de Simon Roussin qui joue presque naïvement avec les codes du genre.
Olivier : Aujourd’hui, il suffit de gratter un petit peu pour que le réel apparaisse. Sans pour autant échapper au saugrenu, nous ouvrons de plus en plus notre catalogue à des récits plus politiques ou plus introspectifs, intimes… En 2025, nous sortirons un ouvrage de Laurie Agusti qui parle de la dérive violente d’un masculiniste fanatique.
Il doit vous falloir des forces pour maintenir votre rythme de sorties ?
Simon : Même si nous tenons la forme, il nous est impossible de doubler nos sorties qui sont au nombre de douze par an, qu’il s’agisse des ouvrages « classiques » 2024, du livre jeunesse – la collection 4048 – ou patrimonial, notamment, prochainement, autour de l’œuvre de Benjamin Rabier.
Olivier : Beaucoup de choses ont changé ces dernières années où nous avons gagné en professionnalisme. Avant le Covid, nous étions trois, alors que nous sommes dix aujourd’hui. Le virus nous a été bénéfique finalement, contrairement à la guerre qui a induit la montée du prix du papier….
Êtes-vous animés par un esprit de compét’ pareil à celui décrit par Matthias Arégui dans Le Nécromanchien ?
Olivier : Nous avons une armoire à trophées pour exhiber tous les prix pour lesquels nos livres sont récompensés – et nous comptons bien les remporter tous ! Pour le reste, on n’est pas en compét’ avec nos collègues de la BD indé.
Simon : Nous faisons partie du même syndicat que L’Association, Çà et là, Cornélius, Misma ou Les Requins marteaux. Notre intérêt est commun : que les libraires vendent plus de livres d’éditeurs indépendants, que nous soyons visibles. Moins petits, tous ensemble, nous parvenons à créer la curiosité autour de nous.
Quelle est l’aventure la plus intersidérante que vous ayez vécue ?
Simon : Nous vivons beaucoup de moments intersidérants : lorsque des droits ont été achetés pour éditer nos livres à l’étranger. Il existe une version de La Traversée (Clément Paurd) en arabe égyptien, une version russe d’Eden (Sophie Guerrive), une version mexicaine de Jim Curious (Matthias Picard). Nous avons vécu beaucoup de bonnes surprises : les succès à retardement de certains titres, la presse unanime et dithyrambique pour Le Discours de la panthère (Jérémie Moreau), voir les trois auteurs et autrice de Des vivants sur le plateau de La Grande Librairie, assister à la performance du Cortège de Fourmis à la Kunsthalle de Bâle…
Olivier : Il faut également parler des expositions itinérantes qui ne cessent de voyager de salons en médiathèques ! Elles sont conçues comme des dispositifs immersifs permettant d’entrer dans l’univers des auteurs. Au début, c’étaient les expos qui nous permettaient de vivre.
« La vérité manque de mystère et de poésie », comme semble le penser Jeremy Perrodeau dans Le Visage de Pavil…
Simon : Nos livres ne sont pas des thèses de philosophie ou de sociologie, mais ils questionnent l’actualité, les comportements humains…
Olivier : Les fictions que nous publions portent toujours leur lot de mystère.
J’ai entendu dire que vous vous conduisez un peu comme le Roy de France et le Pacha d’Orient (Capitaine Mulet de Sophie Guerrive) : 2024 est une dictature ou une démocratie ?
Simon : Démocraquoi ?
Olivier : Les choix éditoriaux sont faits uniquement par Simon et moi, pas par un comité éditorial… Pour le reste, la vie de bureau oscille entre dictature molle et démocratie désordonnée.
Quel Toon flotte au-dessus de votre tête ? Celui qui vous guide et conseille, votre Jiminy Cricket ?
Simon : Olivier, ça serait un petit singe ou la voix de Stallone dans Cliffhanger.
Olivier : Simon, une loutre très mignonne qui se déhanche sur du Rihanna.
2024, les sorties
— 9 janvier Ether de Etienne Chaize
— 4 février Météolove de Camille Floue et Eponine Cottey (livre jeunesse, collection 4048)
— Mars Ducky Coco d’Anouk Ricard
— Avril Je suis un américain de Guillaume Chauchat
2024 en 10 dates
— 1er avril 2010 Création de la maison
— 2011 Première exposition, « Les -Derniers Dinosaures », au FIBD
— 2012 Jim Curious, voyage au cœur de l’océan, premier succès de la maison
— 2014 Première traduction avec Vous êtes tous jaloux de mon jetpack de Tom Gauld
— 2015 Tulipe (-Sophie Guerrive) entre au catalogue
— 2019 Prix du Patrimoine au FIBD Angoulême pour Les Travaux d’Hercule de Gustave Doré
— 2019 Lancement du label jeunesse, 4048
— 2020-21 Exposition des 10 ans, « 2024 : La grande aventure », sur le parvis du Palais Rohan
— 2022 Flopée de prix au FIBD -Angoulême pour Des Vivants (Meltz, Moaty, Roussin) et Le Grand Vide (Murawiec)
— 2024 Fin programmée des éditions 2024 pour -l’année 2024… mais Fête de la Grande Coïncidence le 27 avril à Garage Coop
Par Emmanuel Dosda
Photos Christophe Urbain