Une soupe de fête par Marc Haeberlin
La recette d'une soupe aux truffes par Marc Haeberlin, chef de l’Auberge de l’Ill.
Guillaume Kassel, l’enfant de Graufthal, revenu au Vieux Moulin en 2016, a été récompensé par le Trophée Techniques d’Excellence Grand Est 2024 du Gault et Millau. Le Michelin avait déjà repéré qu’il se passait quelque chose d’excitant ici. Il nous a ouvert les portes de son univers.
En remontant la vallée de la Zinsel, là où le Bas-Rhin et la Moselle jouent à touche-touche, il est un lieu étonnant qui fait le bonheur des amateurs de patrimoine et de nature préservée. Vingt mille curieux passent ici chaque année pour visiter les Maisons des Rochers de Graufthal, ces maisons troglodytiques, creusées dans une falaise de 33 mètres et habitées jusqu’en 1958 par la doyenne du village. Les amateurs de randonnée viennent également arpenter les nombreux sentiers balisés par le Club vosgien dans un décor de carte postale. Les plus avertis savent aussi que Graufthal abrite une pépite, à ranger parmi les plus belles tables d’Alsace du Nord.
Dans le village qui ne compte guère plus d’une centaine d’habitants, une petite route mène au Vieux Moulin. L’ancienne auberge de campagne, au bord d’un étang bucolique, raconte une belle histoire de famille. Émile, l’arrière-grand-père meunier, a d’abord exploité le lieu avant que les grands-parents le transforment en auberge. « C’était un lieu tout simple et populaire. Lucien, mon grand-père, avait travaillé au George V et il aimait dire que le vrai luxe, c’était d’être ici ! C’est ma grand-mère Monique qui cuisinait. » Au début des années 1990, ses parents, Vianney et Sylvie, poursuivent l’aventure pour offrir une escapade à seulement 45 minutes de Strasbourg, de Haguenau ou de Sarreguemines.
« Je suis le premier chef de la famille, car je ne voulais pas être dépendant du recrutement ou du départ de celui qui fait toute la renommée d’une table » explique Guillaume Kassel. « J’ai toujours su que je voulais être cuisinier et que je prendrais la suite de mes parents ici. » Après l’école hôtelière de Strasbourg, il entame un tour de France chez les plus grands, dont il est resté proche. Chez Régis Marcon, il apprend le travail des champignons. Franck Putelat et ses deux étoiles provoquent un déclic. Chez Éric Pras, trois étoiles en Bourgogne, il perfectionne ses techniques et se prend d’amour pour les vins. Puis il renoue avec l’Alsace, aux côtés d’Éric Westermann au Buerehiesel. « Quand on travaille aux côtés des Meilleurs ouvriers de France, on touche du doigt l’excellence, mais j’ai toujours eu pour principal moteur le fait que ce soit très bon ! » s’amuse-t-il modestement.
Depuis son retour en 2016, Guillaume a transformé l’auberge pas à pas. Le décor de bois clair, largement ouvert sur l’étang et la forêt, crée une ambiance moderne et chaleureuse. L’hôtel vient d’achever sa mue et en cuisine, il a amené son audace et son amour des produits locaux et de saison. « J’aime bien donner du sens à ce que je fais. Je voulais une cuisine responsable et cohérente. Je me suis naturellement tourné vers les producteurs du coin. » Ses fruits et légumes poussent à la ferme Sainte Sauvage et à la ferme Waechter, des cueilleurs l’approvisionnent en champignons des bois, un pêcheur de Gondrexange lui fournit silure, omble chevalier, sandre, brochet… et Cédric Dossmann, son cueilleur d’herbes sauvages et safranier, apporte un supplément d’âme à ses assiettes. « Toutes les semaines, je m’adapte aux produits disponibles chez mes producteurs. Je viens de recevoir des cima di rapa, une sorte de brocoli italien. À moi d’inventer les recettes » se réjouit celui qui aime s’affranchir des habitudes et qui ne jure que par les saisons.
Au déjeuner, son menu à 30 euros est un cadeau, qui change toutes les semaines. Le soir, les menus Découverte et Balade ou son menu végétarien Esprit de la Terre réservent de fabuleuses surprises. « Je fais une cuisine d’emmerdeur, j’aime associer des choses qu’on n’imagine pas ensemble, comme les Saint-Jacques et le boudin, le foie gras et les moules. » Mais il connaît aussi ses classiques : la tarte gourmande aux cèpes, le lièvre à la royale et le vacherin contemporain aux parfums de saison. « J’aime les sauces complexes, les petits bouillons à verser délicatement sur un plat, amener des touches de fleurs. J’espère avoir une cuisine personnelle, régionale et pleine de surprises. » Pour compléter l’expérience, la carte des vins est immense, à l’image de la passion de Guillaume. Et les prix sont toujours raisonnables pour se faire plaisir avec des quilles qui empruntent de nombreux détours en terrain nature et biodynamie.
Passer la nuit sur place, dans l’une des douze chambres tout juste relookées, semble une riche idée car, là encore, le confort trois étoiles est affiché à prix tout doux. Bourrache, Coucou, Bleuet… douze fleurs donnent à chaque chambre sa personnalité. Guillaume a fait confiance au talent de Lucie Delamalmaison, également designer de l’Auberge du Frankenbourg à La Vancelle, pour apporter un esprit contemporain à ces chambres spacieuses et confortables. Des couleurs fraîches et poudrées, des contrastes de matériaux entre bois clair et carrelage texturé, des alcôves et des détails art déco moderne créent une ambiance tout en douceur. Avec une vue sur le village, l’ancienne abbaye et l’église d’un côté, ou une vue sur les étangs et la forêt, le calme est parfait pour se ressourcer et se poser. Mais pour une escapade plus nature, les idées ne manquent pas entre le joli sentier de grande randonnée qui relie La Petite-Pierre en deux heures ou Saverne en deux heures trente, ou le sentier circulaire des fontaines qui commence dans la rue du Vieux-Moulin…
Pour sublimer ses plats avec une présentation unique et en harmonie avec sa cuisine, Guillaume a imaginé une vaisselle sur mesure avec deux artisans potiers. Les assiettes très nature de Régine Lehner à Walscheid et les créations de Didier Fritz, le potier de La Petite- Pierre, se dévorent d’abord avec les yeux et élèvent cette terre façonnée au rang d’art de la table.
À deux pas du Vieux Moulin, en face des Maisons des Rochers, Guillaume Kassel fait revivre un bistrot convivial et authentique, où se retrouvent les habitants et les gens de passage.
En ce jour de fermeture, une délicieuse odeur de gâteau au four nous chatouille les narines. Bastien, ancien chef pâtissier du Crocodile et du Buerehiesel, est venu prendre de l’avance pour préparer le brunch d’Halloween au Café des Rochers. Des araignées en pâte feuilletée, des knacks emmaillotées comme des momies… On sent toute l’envie de s’amuser en cuisine, comme sur la carte, et de partager cette bonne humeur en salle.
Guillaume Kassel aime faire des choses qui ont du sens. Il aime à penser qu’on a tous quelque chose à faire pour son territoire. Quand il rachète l’ancien Cheval Blanc en face des Maisons des Rochers, en 2023, il embarque deux copains dans l’aventure. « On voulait faire revivre le lieu, pour les habitants du coin et pour les visiteurs de passage. » Avec son ami Bastien Dambacher de l’école hôtelière de Strasbourg, ils se lancent dans des travaux de rénovation et donnent à la grande auberge une nouvelle vie. Entre meubles chinés et petite équipe de cinq personnes, ils imaginent un bistrot de campagne où l’on peut se retrouver dès le petit-déjeuner et jusqu’en fin de journée.
Chaque jour, le boulanger pétrit ses pains au levain naturel et ses fournées de viennoiseries. Le cuisinier propose une petite cantine gourmande avec suggestions du jour et burgers de la ferme Ludwig et de la ferme du Haut-Village, servis avec des frites au munster. D’autres petites spécialités se grignotent à toute heure ou se partagent pour l’apéro. Et côté boissons, tout est local : vins d’Alsace, bières Perle et Blessing, cafés Mokxa, jus de fruits Sautter et de super sodas. On reviendra pour les prochains brunchs, à la Saint-Nicolas ou au 1er de l’An, goûter aux pâtisseries et tartes de Bastien. On reviendra aussi cet été pour déguster les fameuses glaces maison à l’ombre de l’église ou sur la terrasse en face des rochers.
Au Vieux Moulin
7, rue du Vieux-Moulin À Graufthal
03 88 70 17 28
auvieuxmoulin.eu
Café des Rochers
19, rue Principale à Graufthal
03 88 70 17 11
Facebook : Café des Rochers – Graufthal
Par Corinne Maix
Photos Estelle Hoffert & DR