Comme des champignons

Installé depuis plus de 30 ans en Alsace du Nord, Francis Lang a fait des champignons de culture sa spécialité. Chaque semaine, il produit plus d’une tonne de pleurotes et de shiitakés, dans l’ancien corps de ferme de ses parents à Batzendorf et à Wahlenheim. 

Francis Lang dans sa champignonnière à Batzendorf © Christoph de Barry

Quand on a demandé à Francis Lang pourquoi il s’était lancé, il y a tout juste 35 ans, dans la culture du champignon, sa réponse nous a presque déçus : « Mes parents faisaient de l’élevage, moi j’étais plus intéressé par le végétal. » Une explication laconique, qui aurait pu nous faire oublier le caractère visionnaire de cet état d’esprit. À l’époque, on est en 1988, le bio, le végétal et le bien-être animal ne font pas partie des préoccupations premières du monde agricole. En tant qu’ainé d’une fratrie de cinq, Francis Lang est prédestiné à reprendre la ferme familiale, une exploitation laitière transmise de père en fils depuis des générations. Sauf que lui, élever des vaches, il n’en a pas envie. Il tombe alors, par pur hasard, lors d’un salon agricole à Paris, sur une entreprise du Sud-Ouest qui fait pousser des champignons sur de gros sacs de substrats. « J’ai d’abord testé dans un bâtiment de la ferme, une ancienne grange, qui n’était plus utilisée », se rappelle le discret quinquagénaire. Et comme le veut l’expression, ses champignons poussent et se multiplient. Adieu donc veau, vache et pot au lait, place désormais aux pleurotes et aux shiitakés. 

Champignonnière de Batzendorf © Christoph de Barry

L’expérience comme appareil de mesure

Pour faire pousser ses divers Pleurotus et ses Lentinula edodes (le nom latin des pleurotes et des shiitakés), Francis Lang a depuis investi quatre bâtiments d’environ 240 mètres carrés : deux à Batzendorf, où s’est déroulé son premier essai, et deux autres à Wahlenheim, où son frère est installé. Dans chacun d’eux, des centaines d’imposantes briques de substrat sont méthodiquement disposées à même le sol, par paquets de trois, formant une armée de blocs noirs, d’où sortent des bouquets de pleurotes. « À l’intérieur, c’est de la paille de blé broyée et pasteurisée », précise le maitre des lieux, en nous désignant un des parpaings. « Cela correspond à l’environnement naturel de la pleurote, qui pousse d’habitude sur des souches de bois mort. »

Pour éviter que le champignon à tête beige ne sorte de tous les côtés, ce substrat compacté est enveloppé dans un sac plastique noir, dans lequel des trous sont percés, d’où jaillissent des grappes de pleurotes. Celles-ci émergent en 8-10 jours, « en fonction des conditions climatiques ». Pour la température, il faut que ce soit entre 20 et 25 degrés ; le taux d’humidité, lui, doit se situer aux alentours de 85 %. Pourtant dans le grand hangar sombre dans lequel notre champignonniste nous a emmenés, aucun appareil ne semble mesurer ces précieuses données. « J’en avais avant, mais les appareils électriques ne survivent pas très longtemps quand il fait aussi humide », sourit simplement Francis Lang. C’est donc par expérience (et il en a cumulé en 35 ans de métier !) que ce fin connaisseur sait s’il vaut mieux chauffer ou aérer les chambres de culture, et quelle quantité d’eau il faut verser sur le sol pour créer cette moiteur qui sied tant aux champignons. 

Bouquet de jeunes pleurotes naissantes © Christoph de Barry

Pleurotes en bouquet

Si les conditions sont propices, les bouquets de pleurotes peuvent atteindre plus d’un kilo chacun et repousser deux à trois fois après avoir été coupés. « Au total, on ramasse environ une tonne de champignons par semaine », résume l’agriculteur passionné, que seule une salariée aide à effectuer manuellement les cueillettes quotidiennes. 80 % de sa récolte est constituée de pleurotes, qui se déclinent en trois variétés : les pleurotes en huitre, de couleur grise, à la chair tendre et à la saveur douce, les pleurotes pulmonaires, eux aussi de couleur claire, mais au pied plus fin et à la subtile odeur anisée, et les pleurotes cornucopiés, au chapeau beige à brunâtre en entonnoir, et à la légère saveur de noisette. Les 20 % restants sont des shiitakés, qui poussent sur des pains de paille et de sciure de chêne. 

Dès qu’ils sont récoltés, Francis Lang distribue ses champignons aux grossistes alsaciens (SAPAM et Soprolux principalement), qui fournissent les auberges de la région. La nouvelle tête montante de la gastronomie strasbourgeoise, le restaurant fraichement étoilé de:ja, fait notamment partie des clients fidèles, de même que son homologue Enfin, à Barr, ou des institutions comme le Crocodile à Strasbourg et le restaurant Thierry Schwartz à Obernai. Pour les cuisiniers amateurs, il est aussi possible de retrouver ces petits joyaux chapeautés à la coopérative agricole des Jardins du Ried, à Hoerdt, ou de passer les acheter directement à la ferme. À l’entrée de la vieille bâtisse de grès rose, rien n’indique que c’est bien ici que se trouve l’une des seules champignonnières de l’Alsace du Nord, mais il ne faut pas hésiter à se garer dans la cour, pour récupérer sa barquette de pleurotes et de shiitakés. 

Lentins de chêne ou shiitakés © Christoph de Barry

Champignons en fratrie 

Dernière solution pour se procurer les délicieux fongus : les marchés strasbourgeois. Les mardis, mercredis, vendredis et samedis, le frère de Francis, Vincent, se rend dans la capitale alsacienne pour y tenir des stands de champignons. Outre la production de son frère, Vincent Lang propose aussi les champignons de Paris d’un agriculteur colmarien, ainsi qu’une large variété de champignons sauvages. « Ce sont des particuliers qui les ramassent dans les Vosges, et qui les revendent à une coopérative », explique le commerçant. Selon la saison, on trouvera chez lui des girolles, des cèpes, des morilles, des trompettes de la mort, mais aussi des variétés moins connues, comme le sparassis crépu (aussi appelé champignon chou-fleur), le pied-de-mouton ou le mousseron des prés. 

Durant les derniers mois de l’automne et jusqu’au début de l’hiver, Vincent Lang propose aussi des truffes de Bourgogne (mais qui viennent de Lorraine, la truffe de Bourgogne est juste le nom d’une variété), au printemps des asperges sauvages et en été des myrtilles des bois. « Je fais aussi de la transformation », complète le très grand quinquagénaire au regard doux. « Je fabrique des tourtes aux champignons, des soupes, des quiches, et j’ai même élaboré, avec une ferme voisine de Wahlenheim, une tomme aux truffes de Lorraine. » Du 100 % local et du 100 % frais. 

Aujourd’hui, les deux frères Lang n’ont aucune peine à écouler leur marchandise. À l’époque pourtant, l’ainé Francis passait pour un hérétique, avec sa passion pour le règne des fongus. « Désormais, grâce au travail des scientifiques, on sait que les champignons sont riches en minéraux, en vitamines et en fibres », se réjouit l’agriculteur. De récentes recherches ont même montré que le shiitaké a des propriétés anti-cancer. » Un super-aliment, qui s’avère aussi un super allié pour quiconque souhaiterait réduire sa consommation carnée. 

Pleurotes en huitre © Christoph de Barry

Haguenau célèbre le champi

Du 9 au 16 octobre, les plus grands spécialistes du champignon se réunissent à Haguenau pour le Congrès national annuel de la Société mycologique de France. Une première en Alsace ! L’occasion pour la commune et pour l’Office national des forêts (ONF) de proposer toute une série d’activités autour du champignon : conférences, expositions, sorties en forêt, ateliers pour enfants, etc. L’événement est ouvert à tous, fins spécialistes comme simples curieux. Le moment idéal pour s’initier à la cueillette de champignons et en apprendre plus sur le monde fascinant des fongus. Une centaine de mycologues seront présents, pour échanger avec les visiteurs, mais aussi pour effectuer tout au long de la semaine un inventaire inédit des variétés de champignons présents dans les forêts de Haguenau.

Les rendez-vous à ne pas manquer


11.10 > 15.10 à 14 h — au Millénium
Exposition de champignons récoltés en forêt de Haguenau, en présence de mycologues professionnels

13.10 à 14h inscription obligatoire
Visite de l’exploitation de pleurotes et shiitakés de M. Lang à Batzendorf

14.10 à 9 h — inscription obligatoire
Balade en forêt de Haguenau pour s’initier à la mycologie et apprendre à reconnaître les champignons comestibles

14.10 à 16 h — Librairie de La Marge
Dédicace par Hubert Voiry (fondateur du réseau mycologie à l’ONF) de son livre Pas de forêt sans champignons (éditions Actes Sud)

Pour les inscriptions, retrouvez l’événement « Les Mycofolies : le champignon dans tous ses états ! » sur sortirahaguenau.fr


Francis Lang – Champignonnière
12, rue Principale à Batzendorf
06 20 82 85 10

Ellochampi
5, rue du Tilleul à Wahlenheim
06 83 18 15 66
ellochampi.com 


Par Tatiana Geiselmann
Photos Christoph De Barry