Into the wild #1 :
Cédric Dossmann, le défricheur

Manger du végétal, de saison, en circuit-court, c’est déjà un premier pas. Mais si cette fois on poussait le curseur un peu plus loin et on tentait le sauvage ? Pas la peine de vous munir d’une serpette et de jouer aux apprentis herboristes, d’autres cueilleurs plus expérimentés en ont fait leur métier et nous aident à ensauvager nos assiettes.

Ensauvager vos assiettes
Cédric Dossmann ©Christophe Urbain

En arrivant à l’adresse indiquée par Cédric Dossmann, on a été un peu surpris : face à nous une maison au crépis impeccable, mi-crème mi-rose poudré, une pelouse de style anglais et une allée de pavés parfaitement alignés. La carte postale de l’Alsace docile et proprette, pas vraiment l’image qu’on s’était faite du bonhomme. En se garant soulagement : la maison de notre cueilleur autodidacte est de l’autre côté de la rue, noyée dans un jardin qui frôle l’anarchie, herbes hautes, coquelicots et ombelles de carottes sauvages se disputant la place.

Ensauvager vos assiettes
Cédric Dossmann, défricheur ©Christophe Urbain

Pistils de safran 

Paysagiste de métier et toujours fourré dans les bois, Cédric Dossmann s’est lancé dans la cueillette sauvage il y a près de 10 ans, après une décennie à travailler dans la pisciculture. « À l’époque, on m’a pris pour un cinglé », sourit calmement l’homme de 46 ans, dont le look semble trahir un passé d’ancien punk. Le modèle économique de cet Alsacien d’origine est pourtant loin d’être baroque : après avoir défriché une partie de son terrain, il y plante des centaines de bulbes de safran, « la fleur la plus chère du monde ». Le précieux crocus ayant une floraison inversée (les pistils se récoltent à l’automne), « il fallait que je trouve de quoi m’occuper au printemps et en été », résume simplement le quadragénaire. Après maints démarchages auprès de restaurateurs alentour, l’un d’eux finit par se laisser convaincre de travailler cette matière sauvage « et ensuite tout s’est enchainé très vite ». 

Bouillon de reine-des-prés 

Aujourd’hui Cédric Dossmann s’est forgé une telle réputation qu’il a le privilège de choisir avec qui travailler. Parmi ses clients fidèles : la Villa René Lalique, le restaurant doublement étoilé de Wingen-sur-Moder, l’Auberge Saint-Walfrid à Sarreguemines (une étoile au guide Michelin) ou encore Au Vieux Moulin à Eschbourg. Les chefs lui demandent des fleurs fraiches (du phlox, du fuchsia ou de la centaurée) pour décorer leurs assiettes, mais ils aiment aussi et surtout travailler les saveurs particulières de ses cueillettes sauvages. La reine-des-prés vient ainsi parfumer un bouillon où nagent des Saint-Jacques, les bourgeons d’épicéa s’accoquinent d’un foie de veau rôti aux mirabelles et le géranium odorant apporte ses notes poivrées à un clafoutis de cerises. « Au total, je récolte environ 70 variétés de plantes différentes », précise le cueilleur qui, en plus de les ramasser, les fait sécher et les transforme. 

Ensauvager vos assiettes
Laboratoire de Cédric Dossmann. ©Christophe Urbain

Gelée de mélilot dorée 

Dans le laboratoire attenant à sa maison en bois (qu’il a construit lui-même, ça va de soi), Cédric Dossmann est entouré de jarres et de bonbonnes : dans l’une, du sirop de bourgeon d’épicéa mis à maturer plus d’un mois au soleil, dans une autre un vinaigre aux fleurs de sureau, patiemment infusées dans l’ombre de la cave. Pourtant, une odeur de foin fraichement coupé flotte dans la pièce. « C’est le mélilot, une plante peu connue que j’aime beaucoup travailler », précise notre hôte en ouvrant son séchoir, sorte de cabane de jardin où sont suspendues une dizaine de claies en plastique. « Il faut sécher les feuilles au moins trois jours dans le noir. » Une fois cette délicate étape passée, Cédric Dossmann les transformera en gelée et vendra ses petits pots couleur or, avec ses dizaines d’autres préparations, sous la marque Pistils et Dam’Nature sur les marchés alentour. 


Facebook : Cédric Dossmann
Pistils et Dam’Nature
À retrouver à l’épicerie OH!


Par Tatiana Geiselmann
Photos Christophe Urbain


Par ici la suite du dossier : Rencontre avec Sophie Peuckert, la vaporeuse