Celtic, l'eau d'ici
Quand Édouard Meckert, fondateur du Moulin des Moines et pionnier du bio, reprend l’entreprise Celtic en 1999, c’est avec la louable intention de sauvegarder une eau minérale qui appartient au patrimoine naturel local.
Troquant les Doc’ pour les bottes, le chef étoilé Thierry Schwartz, à la tête depuis plus de 20 ans du restaurant éponyme à Obernai, nous a emmenés à la découverte de son univers culinaire naturaliste, entre cueillette dans les champs et cuisson au feu de bois.
En toute logique, c’est autour d’un petit noir qu’a commencé notre journée en compagnie de Thierry Schwartz. Un café doux, légèrement acidulé, parfaitement au goût de Christophe, le photographe qui m’accompagne ; un poil trop subtil pour moi, qui aime les kawas très corsés. « C’est un café que Mokxa torréfie spécialement pour nous », précise le chef impeccablement coiffé, en s’attablant à nos côtés dans un recoin de son historique winstub d’Obernai. Installée en bordure des remparts, cette maison à colombages de 1589 a gardé un cachet rustique et chaleureux, avec ses belles tables en bois « fabriquées par mon père » et cette cheminée en briques et en cuivre, qui servira plus tard à braiser une partie de notre déjeuner.
Pour l’instant, l’heure est aux croissants, tout juste sortis des fours de la boulangerie attenante au restaurant. « Nous utilisons des farines locales et de l’eau redynamisée », glisse le chef de sa voix grave, « avec des temps de pousse de 16 à 24 heures ». Une ode à la patience, qui semble bien coller au rythme de vie du restaurant. Nous qui nous attendions à voir le chef s’affairer de toutes parts, sommes agréablement surpris par le calme qui règne dans la bâtisse. « Vous avez de la chance », nous soufflera un peu plus tard son second, François Hubscher, dans un sourire, « moi, d’habitude, je ne le vois qu’en coup de vent, il a toujours mille choses à gérer ».
Retour aux sources
Proposant de nous resservir un café, Thierry Schwartz prend pourtant le temps, de nous parler de cette potière, qui modèle pour lui une nouvelle ligne de vaisselle, ou de ce coutelier, qui a sélectionné des essences d’arbres fruitiers locaux pour tailler les couverts du restaurant. Pour celui que beaucoup décrivent comme un précurseur de la naturalité, l’attachement au terroir n’est pas un vain mot. Il se retrouve aussi bien dans, qu’autour des assiettes. Seule entorse à l’Alsace : ces dizaines de bouteilles de chartreuse, dont certaines aux étiquettes passablement défraîchies, témoignent des huit années passées par le chef aux commandes d’un restaurant d’altitude de Megève.
Le tintement des casseroles derrière les portes battantes de la cuisine et le jour qui commence à traverser les vitres dépolies de la salle à manger, nous obligent à sortir de notre torpeur. Il est 8 heures, il est temps de prendre la clef des champs. J’ai oublié d’emporter des bottes et de prévenir Christophe, qui n’est donc pas mieux équipé. Heureusement, ici, chacun est habitué à partir récolter une partie des légumes directement chez le paysan, et on nous dégote rapidement deux paires à peu près à notre pied. « Nous ne passons jamais commande aux agriculteurs, on élabore les menus en fonction de ce qu’ils nous apportent », explique le chef en nous conduisant à sa voiture. Tous les deux jours les plats changent, s’adaptant aux contraintes du monde paysan.
À la ville comme aux champs
Sur le trajet, Thierry Schwartz nous parle de ses parents, qui travaillaient dans le bâtiment, du soutien qu’ils lui ont apporté, comprenant qu’il « était meilleur en cuisine qu’en dessin d’architecture », de son grand-père et de « la gnôle des fruits de son verger », de sa femme Pauline, qui gère la décoration du restaurant, « une Strasbourgeoise, très urbaine, qui ne veut désormais plus quitter Obernai », et puis de son fils, Oscar, à qui il ne prédisait pas une carrière dans la gastronomie, et qui vient d’enchaîner un premier poste à la maison Troisgros, un second au triplement étoilé Clos des Sens, et désormais à la Grenouillère, chez Alexandre Gauthier.
Sortant des cagettes de son coffre et un couteau de sa poche, Thierry Schwartz arpente tranquillement les allées de courgettes devant lesquelles nous sommes garés et cueille tous les trois à quatre pieds des fleurs encore ouvertes. L’agriculteur n’est pas présent, mais le chef est ici comme à la maison et lui enverra en fin de semaine le détail de sa récolte. « Vous savez qu’il existe des fleurs mâles et des fleurs femelles ? », nous lance-t-il d’un air malicieux, comme pour vérifier que nous ne sommes pas (nous aussi) des urbains déconnectés de la nature. Ouf, oui, on sait, le test est validé ! Un rapide tour dans la serre pour ramasser une poignée de menthe et quelques fleurs de tournesol, et nous voilà repartis direction Obernai.
Étoile verte, livre rouge
En arrivant, Thierry Schwartz doit monter au bureau. « Vous êtes sûrs que vous voulez m’accompagner ? Ce n’est pas très intéressant, je dois juste imprimer les menus. » Car c’est aussi ça la vie de chef étoilé à la tête d’une équipe de seulement sept personnes, gérer la paperasserie.
Le haut de la maison est resté dans son jus, tapisserie fleurie et buffets de bois sombre saturant visuellement l’espace. En face du bureau, un alignement de livres à la couverture rouge attire notre regard : la collection complète du guide Michelin. « Non, il me manque quatre exemplaires, les premiers des années 1900. » Celui de 2004, où son nom apparaît pour la première fois dans la section Alsace, est en revanche bien présent, de même que 2023 pour sa première étoile verte. Une distinction évidente, pour celui qui ne travaille qu’avec des producteurs du coin (50 kilomètres maximum), privilégie le bio et la biodynamie, cuisine fruits et légumes dans leur intégralité et s’est vu décorer en 2015 de l’Ordre du Mérite agricole.
Preuve de son attachement aux trésors potagers, Thierry Schwartz nous conduit au cellier, une pièce d’à peine 4 mètres carrés où s’entassent des centaines de bocaux, des anciens pots en grès, des jarres et un séchoir. Un capharnaüm poétique regorgeant de feuilles et champignons séchés, de sodas maison fermentés, de pickles de légumes. « Au printemps et en été, toute l’équipe part en forêt cueillir des fleurs, feuilles et fruits sauvages. » Certaines préparations patientent plusieurs années en saumure avant d’atteindre la saveur escomptée et d’être dressées sur les tables (sans nappes ! une hérésie dans la haute gastronomie) du restaurant, comme ces fraises vertes goût olive, une des spécialités de la maison et un de nos coups de coeur.
Une carte du vivant
Jouxtant l’atelier de fermentation, la cave à vin dégage elle aussi une atmosphère hors du temps. Des milliers de bouteilles y sont amoncelées, du vin d’Alsace et d’ailleurs, principalement en nature, 1 700 références au total, ce qui en fait « la plus grande cave de vins naturels d’Europe » se félicite Thierry Schwartz, qui a très tôt tissé des liens avec les vignerons du vivant. Certains habitués du restaurant lui passent d’ailleurs directement commande, comme auprès d’un caviste, et c’est le cas de ce Normand qui vient d’arriver dans la cour. L’occasion parfaite pour Thierry Schwartz de s’éclipser et de nous laisser entre les mains de sa femme, Pauline, qui nous conduit dans la salle à manger. Lui va aller nouer son tablier et peaufiner le menu en cuisine, passant régulièrement en salle vérifier les braises du feu de cheminée ou s’enquérir de savoir si les plats nous ont plu.
C’est un oui sans conteste ! Dans l’assiette comme dans le verre, nous avons tout adoré, l’omble chevalier de fontaine, la verdure potagère et son crumble d’épluchures, l’addictif pain brioché à la fleur de sel, l’incroyable aubergine confite et son condiment à l’ail noir. Le seul bol que nous avons délaissé, c’est ce beurre extra-frais baratté sous nos yeux, dont la saveur aigre nous a rappelé que nous étions peut-être encore des urbains trop habitués au goût du lait pasteurisé.
Par Tatiana Geiselmann
Photos Christophe Urbain