Maille à durée indéterminée

Et si porter un pull raccommodé était le nouvel acte militant éco-responsable ? Une évidence, à l’heure où le port d’un col roulé est préconisé par le service de communication du gouvernement pour inciter les Français à plus de sobriété énergétique. 

De fil en aiguille, réparer les vêtements de qualité qu’on souhaite garder longtemps reprend enfin tout son sens. Le visible mending (ou VM), autrement dit la « réparation visible », qui magnifie les effets du temps sur les tissus en les brodant d’une multitude de petits points, ou à l’aide de patchs, est l’un des mouvements de la révolution Slow Fashion, une lame de fond qui émerge de milieux sociaux très différents. Pour la clientèle aisée qui achète désormais moins – et uniquement du « bien fait » – et la nouvelle génération qui prône le vintage, la seconde main et l’upcycling (le recyclage
« par le haut »), l’engagement passe par une consommation plus intelligente et l’allongement de la durée de vie des vêtements. Le hashtag #visiblemending fait aujourd’hui florès sur les réseaux sociaux, tout comme les tutos pour s’initier au raccommodage, au rapiéçage, au remaillage ou à l’art du reprisage. Œillets et points de feston n’ont désormais plus de secrets pour les Z, même les garçons tricotent et brodent sans se cacher. Pour cette génération d’ouverture, montrer ce qui est abimé – l’imperfection – n’est plus honteux, tout comme afficher sa part de féminité ou même son manque de dextérité, qu’importe, du moment que c’est créatif. Un embellissement décomplexé également orienté vers un but écologique, car prendre soin de ses vêtements, et les faire durer, c’est aussi prendre soin des autres et de notre planète. Une manière de retrouver tout ce que l’on avait perdu avec la déferlante Fast Fashion des vingt dernières années et la fièvre consumériste qui allait avec. 

Pour Maison Claude, boutique strasbourgeoise de seconde main qui revendique les vêtements traversant les époques, le ravaudage est une flagrance, du chandail bourgeois orné de coudières, au bleu de travail de l’ouvrier patiemment rafistolé. Les deux propriétaires, Inès et Cyril, tricotent ou brodent régulièrement certaines pièces chinées méritant une seconde vie. Dernièrement, ils ont fait appel à Sophie Roy, rencontrée sur un marché aux puces par l’intermédiaire d’un pull joliment raccommodé par ses soins et porté par son compagnon. Sophie, qui est climatologue, ne pense pas la broderie en tant que hobby, mais comme un manifeste allant de pair avec ses convictions écologiques. « Quand on a un beau pull, ça a du sens de le réparer, on peut vraiment prolonger la vie d’un vêtement avec la technique du visible mending. C’est ma grand-mère qui m’a appris à broder, mais l’inspiration vers plus de fantaisie est venue en suivant le compte instagram @visiblemend. On n’est pas obligé de savoir bien broder pour se lancer, une reprise à l’arrache, ça peut avoir du chien ! Il y a quelque chose de très joyeux dans cette démarche et un attachement sentimental qui se crée avec le pull ou le jean qu’on commence à broder. Quant on investit autant de temps, on se pique à continuer, la démarche s’autoalimente, on devient vite accro. » Sophie a par la suite brodé quelques pièces pour leur boutique, dont ces deux pulls aux raccommodages dictés par ses trouvailles mercières : d’une rare petite bobine de fil dégradé, pile suffisante pour réparer l’avant effiloché de ce pull militaire kaki, à l’enchevêtrement délicat de fils multicolores DMC patiemment chinés dans des brocantes, utilisés pour camoufler l’outrage des mites sur un indémodable pull marin. La main a ensuite oeuvré, se laissant guider par l’inspiration et le plaisir d’offrir une vie nouvelle à ces mailles délaissées.


Maison Claude
9, rue des Veaux
Strasbourg
@maisonclaude.shop


À lire, pour s’initier 
Rapiécer, raccommoder par Kerstin Neumüller, éditions La Plage, 19,95 €
Le raccommodage par Hikaru Noguchi, éditions De Saxe, 19,90 €

Deux comptes à suivre 
@tomofholland
À Brighton, celui de l’artiste Tom van Deijnen/Tom of Holland
@visiblemend
À Londres, l’historienne Kate Sekules (autrice du livre MEND! :  A Refashioning Manual and Manifesto) 


Par Myriam Commot-Delon
Photos Alexis Delon / Studio Preview